Version Science Alert :
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Traduction de https://www.sciencealert.com/chernobyl-fungus-appears-to-have-evolved-an-incredible-ability
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Une espèce de champignon de Tchernobyl semble avoir développé une aptitude incroyable
30 novembre 2025
Par Michelle Starr
[photo : Une espèce de champignon de Tchernobyl semble avoir développé une aptitude incroyable.
Cladosporium sphaerospermum, cultivé au Centre hospitalier universitaire de Coimbra, au Portugal. (Rui Tomé/Atlas de mycologie, utilisé avec autorisation)]
La zone d'exclusion de Tchernobyl est certes interdite aux humains mais depuis l'explosion du réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl il y a près de 40 ans non seulement d'autres formes de vie s'y sont installées mais ont aussi survécu, se sont adaptées et semblent prospérer. L'absence d'humains y est peut-être pour quelque chose ... mais pour un organisme en particulier, les rayonnements radioactifs persistants dans les structures entourant le réacteur pourraient bien être un avantage. Là, accroché aux parois intérieures de l'un des bâtiments les plus radioactifs de la planète, des scientifiques ont découvert un étrange champignon noir qui semble s'épanouir pleinement.
Ce champignon s’appelle Cladosporium sphaerospermum et certains scientifiques pensent que son pigment foncé – la mélanine – lui permettrait d’exploiter les rayonnements ionisants grâce à un processus similaire à la photosynthèse chez les plantes. Ce mécanisme proposé est même appelé radiosynthèse. Ce qu'li y a de vraiment étrange avec C. sphaerospermum est que bien que les scientifiques aient démontré que ce champignon prospère en présence de rayonnements ionisants, personne n’a encore réussi à déterminer comment ni pourquoi. La radiosynthèse est une théorie, et une théorie difficile à prouver.
Le mystère a commencé à la fin des années 1990, lorsqu’une équipe dirigée par la microbiologiste Nelli Zhdanova, de l’Académie nationale des sciences d’Ukraine, a entrepris une étude de terrain dans la zone d’exclusion de Tchernobyl afin de déterminer si une forme de vie pouvait exister dans l’abri entourant le réacteur accidenté. Là, ils furent stupéfaits de découvrir toute une communauté de champignons, recensant pas moins de 37 espèces. Ces organismes étaient généralement de couleur sombre à noire, riches en mélanine. C. sphaerospermum est dominant dans tous les échantillons, présentant certains des niveaux de radioactivité les plus élevés. Aussi surprenante qu'ait été cette découverte, la suite ne fit qu'épaissir le mystère. La radiopharmacologue Ekaterina Dadachova et l'immunologiste Arturo Casadevall, tous deux de l'Albert Einstein College of Medicine aux États-Unis, ont dirigé une équipe de scientifiques qui a constaté que l'exposition de C. sphaerospermum aux rayonnements ionisants n'endommageait pas le champignon de la même manière que d'autres organismes.
[Photo : C. sphaerospermum mélanisé. (Rui Tomé/Atlas de Mycologie, reproduit avec autorisation)]
Les rayonnements ionisants désignent les émissions de particules suffisamment puissantes pour arracher des électrons aux atomes, les transformant ainsi en ions. Sur le papier cela semble plutôt anodin mais en pratique l'ionisation peut briser les molécules, perturber les réactions biochimiques et même endommager l'ADN. Rien de tout cela n'est bon pour l'être humain même si ce phénomène peut être exploité pour détruire les cellules cancéreuses, particulièrement vulnérables à ces effets. C. sphaerospermum semblait étrangement résistant et se développait même mieux lorsqu'il était exposé à des rayonnements ionisants. D'autres expériences ont montré que ces rayonnements modifiaient le comportement de la mélanine fongique – une observation intrigante qui a justifié des recherches plus approfondies. Dans un article ultérieur publié en 2008, Dadachova et Casadevall ont proposé pour la première fois une voie biologique similaire à la photosynthèse. Le champignon – et d'autres similaires – semblait capter les rayonnements ionisants et les convertir en énergie, la mélanine jouant un rôle comparable à celui de la chlorophylle, le pigment absorbant la lumière. Parallèlement, la mélanine agit comme un bouclier protecteur contre les effets les plus nocifs de ces rayonnements.
[Photo : C. sphaerospermum observé au microscope. (Rui Tomé/Atlas de Mycologie, reproduit avec autorisation)]
Ceci semble corroboré par les résultats d'une étude de 2022 dans laquelle des scientifiques décrivent les résultats d'une expérience menée sur C. sphaerospermum : fixé à l'extérieur de la Station spatiale internationale (ISS), il a été exposé à l'intensité maximale des rayons cosmiques. Des capteurs placés sous la boîte de Petri ont alors montré que la quantité de rayons passant à travers le champignon était réduite en regard du milieu témoin constitué uniquement d'agar-agar. L'objectif de cette étude n'était pas de démontrer ou d'étudier la radiosynthèse mais d'explorer le potentiel du champignon comme bouclier anti-radiations pour les missions spatiales, idée fascinante. Néanmoins à la date de publication de cette étude-ci le rôle exact du champignon reste encore un mystère.
Les scientifiques n’ont pas encore réussi à démontrer de fixation de carbone induite par un rayonnement ionisant, ni un gain métabolique, ni une voie de récupération d’énergie clairement définie. "La radiosynthèse proprement dite reste à démontrer, sans parler de la réduction des composés carbonés en formes à plus haut contenu énergétique ou de la fixation du carbone inorganique par rayonnement ionisant" écrit l'équipe dirigée par l’ingénieur Nils Averesch de l’université de Stanford. L'idée de la radiosynthèse est vraiment fascinante, digne de science-fiction mais le plus étonnant est peut-être que ce champignon bizarre utilise un mécanisme encore inconnu pour neutraliser une chose aussi dangereuse pour l'homme. Ce n'est d'ailleurs pas un cas isolé. Une levure noire, Wangiella dermatitidis, voit sa croissance accrue dans les rayonnements ionisants. Parallèlement, une autre espèce de champignon, Cladosporium cladosporioides, produit davantage de mélanine au départ mais dans des rayonnement gamma ou UV sa croissance reste inchangée. Le comportement observé chez C. sphaerospermum n'est donc pas universel aux champignons mélanisés. S'agit-il d'une adaptation permettant à ce champignon de se nourrir d'une lumière intense capable de tuer d'autres organismes ? D'une réponse au stress favorisant la survie dans des conditions extrêmes loin d'être idéales ? Pour l'instant impossible de le dire. Ce que nous savons c'est que ce modeste champignon noir et velouté utilise "intelligemment" les rayonnements ionisants pour survivre et peut-être même proliférer dans un endroit trop dangereux pour que des humains puissent s'y aventurer sans danger, démontrant que la vie, en effet, trouve toujours un chemin.
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#Science #biologie #radioactivite #radiosynthèse