En RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo, la traque des enfants « zĂ©ro dose » passe par lâintelligence collective des acteurs de la santĂ©
KINSHASA et LUMUMBASHI, le 7 octobre 2025 (La Fondation Apprendre GenĂšve) â « Ces jeunes filles qui ont des grossesses indĂ©sirables, quand elles mettent au monde, elles ont tendance Ă laisser les enfants livrĂ©s Ă eux-mĂȘmes », explique Marguerite Bosita, coordonnatrice dâune organisation non gouvernementale Ă Kinshasa.
« Ce manque dâinformations sur les questions liĂ©es Ă la vaccination se pose encore plus, car ces enfants grandissent exposĂ©s Ă des difficultĂ©s de santĂ© ».
Sa voix, Ă©manant dâune mission de terrain dans la province du Kongo Central, sâest jointe Ă des centaines dâautres ce 7 octobre 2025.
Il sâagissait de la deuxiĂšme journĂ©e dâun exercice dâapprentissage par les pairs de 16 jours visant Ă identifier et Ă atteindre les enfants dits « zĂ©ro dose » en RĂ©publique dĂ©mocratique du Congo (RDC).
Ce sont ces centaines de milliers de nourrissons qui nâont reçu aucun vaccin pour les protĂ©ger de nombreuses maladies.
Pour les 1 617 professionnels de la santĂ© inscrits Ă cet exercice, il ne sâagissait pas dâun webinaire de formation classique, mais dâune Ă©tape importante dâun mouvement bien plus large.
OrganisĂ© par La Fondation Apprendre GenĂšve, cet exercice est une pierre angulaire du Mouvement congolais pour la vaccination Ă lâhorizon 2030 (IA2030).
Il bĂ©nĂ©ficie du soutien du ministĂšre de la SantĂ© de la RDC Ă travers son Programme Ă©largi de vaccination (PEV), de lâUNICEF et de Gavi, lâAlliance du Vaccin.
Lâinitiative renverse le modĂšle traditionnel de lâaide internationale.
Au lieu de sâappuyer sur des experts extĂ©rieurs, elle part dâun postulat aussi simple quâil est consĂ©quent.
La meilleure expertise pour rĂ©soudre les dĂ©fis de premiĂšre ligne se trouve chez les travailleurs de la santĂ© eux-mĂȘmes.
La composition de cette cohorte tĂ©moigne de la profondeur de lâinitiative.
Plus de la moitiĂ© des participants proviennent des niveaux pĂ©riphĂ©riques et infranationaux du systĂšme de santĂ©, lĂ oĂč la vaccination a lieu.
Un professionnel sur cinq travaille au niveau central, assurant un lien essentiel entre les politiques nationales et les réalités du terrain.
Le profil des participants est tout aussi varié.
Un tiers sont des médecins, 30 % des agents de santé publique, suivis par les agents de santé communautaire (13 %) et les infirmiers (9 %).
Fait marquant, prĂšs de la moitiĂ© dâentre eux travaillent directement pour le ministĂšre de la SantĂ© Ă travers le Programme Ă©largi de vaccination (le «PEV»).
Cette forte proportion de personnel gouvernemental, complĂ©tĂ©e par une reprĂ©sentation significative de la sociĂ©tĂ© civile et du secteur privĂ©, ancre fermement lâinitiative dans une appropriation nationale.
Le regard du terrain
« Les défis sont tellement grandioses », a déclaré Franck Kabongo, consultant en santé publique à Lubumbashi, dans la province du Haut-Katanga.
En effet, les défis décrits par les participants sont immenses.
Il a souligné deux obstacles majeurs.
Dâune part, la difficultĂ© dâatteindre les enfants dans les communautĂ©s reculĂ©es.
Car les problĂšmes logistiques reprĂ©sentent un « casse-tĂȘte» pour de nombreux acteurs de santĂ© impliquĂ© dans la vaccination.
Pour Mme Bosita à Kinshasa, le problÚme est profondément social.
Son organisation soutient les enfants vulnérables, y compris les orphelins et ceux qui vivent dans la rue, dont beaucoup sont nés de jeunes mÚres sans suivi médical.
« Il nây a pas assez de sensibilisation sur le terrain par rapport Ă cette notion », a-t-elle dĂ©plorĂ©, expliquant sa volontĂ© dâintĂ©grer la vaccination dans le travail de son association.
Ces tĂ©moignages, partagĂ©s dĂšs les premiĂšres minutes, ont brossĂ© un tableau saisissant dâun corps de mĂ©tier dĂ©vouĂ©.
Ils luttent contre un enchevĂȘtrement complexe de barriĂšres logistiques, sociales et informationnelles qui laissent les enfants les plus vulnĂ©rables sans protection.
Ă la recherche des causes profondes
Le cĆur de lâexercice nâest pas seulement de partager les problĂšmes, mais de les dissĂ©quer.
GrĂące Ă une analyse de groupe structurĂ©e, les participants sâexercent Ă la technique des « cinq pourquoi ».
Cette mĂ©thode vise Ă dĂ©passer les symptĂŽmes pour trouver la vĂ©ritable cause fondamentale dâun problĂšme.
Lors dâune session plĂ©niĂšre, Charles Bawande, animateur communautaire dans la zone de santĂ© de Kalamu Ă Kinshasa, a prĂ©sentĂ© un dilemme courant.
Une forte concentration dâenfants zĂ©ro dose parmi les communautĂ©s de rue, trĂšs mobiles et souvent peu scolarisĂ©es.
Au dĂ©part, le problĂšme semblait ĂȘtre un simple manque dâinformation.
Mais au fur et à mesure que le groupe a creusé, une réalité plus complexe est apparue.
Pourquoi les enfants sont-ils manqués?
Parce que les travailleurs de santé communautaires, les relais communautaires, ne disposent pas des informations nécessaires.
Pourquoi nâont-ils pas ces informations?
Parce quâils nâassistent souvent pas aux sĂ©ances dâinformation essentielles.
Pourquoi nây assistent-ils pas?
Parce quâils sont occupĂ©s par dâautres activitĂ©s.
« Ils doivent vivre, ils doivent manger⊠ils sont locataires, ils doivent payer le loyer », a expliqué M. Bawande.
La derniĂšre question a rĂ©vĂ©lĂ© le cĆur du problĂšme.
Pourquoi sont-ils occupĂ©s par dâautres choses?
Parce que leur travail de relais communautaire est entiÚrement bénévole.
Alors quâon attend dâeux quâils agissent comme des volontaires, beaucoup sont des parents et des chefs de famille qui doivent donner la prioritĂ© Ă leur gagne-pain.
Un problĂšme qui semblait ĂȘtre un simple dĂ©ficit dâinformation sâest rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre ancrĂ© dans la prĂ©caritĂ© Ă©conomique du systĂšme de santĂ© bĂ©nĂ©vole.
Une mosaïque de défis partagés
Lorsque les participants se sont rĂ©partis en prĂšs de 80 petits groupes, leurs discussions ont rĂ©vĂ©lĂ© un large Ă©ventail dâobstacles, chacun profondĂ©ment liĂ© au contexte local.
Les rapports des groupes ont dressé une carte riche et détaillée des freins à la vaccination à travers le vaste pays.
PrĂšs de Goma, dans le Nord-Kivu, le groupe de ClĂ©mence Mitongo a identifiĂ© lâinsĂ©curitĂ© due Ă la guerre comme une barriĂšre principale qui a dĂ©placĂ© les populations et perturbĂ© les services de santĂ©.
Dans la province du KasaĂŻ, le groupe de Yondo Kabonga a mis en lumiĂšre lâimpact des rumeurs, de la dĂ©sinformation et des barriĂšres gĂ©ographiques comme les ravins et les riviĂšres.
Ailleurs, dâautres groupes ont fait Ă©tat de la rĂ©sistance issue de convictions religieuses, certaines Ă©glises enseignant Ă leurs fidĂšles que la foi seule suffit Ă protĂ©ger leurs enfants.
Un autre groupe a discutĂ© du cas des rĂ©fugiĂ©s revenus dâAngola, oĂč lâignorance des parents concernant le calendrier vaccinal constitue un obstacle majeur.
Ce diagnostic collectif a dĂ©montrĂ© la puissance du modĂšle dâapprentissage par les pairs.
Aucun expert ne pourrait Ă lui seul possĂ©der une comprĂ©hension aussi fine et Ă©tendue des dĂ©fis Ă lâĂ©chelle nationale.
Une nouvelle façon dâapprendre
Cet exercice est fondamentalement différent des programmes de formation traditionnels.
Il sâagit dâun parcours pratique oĂč les participants deviennent des crĂ©ateurs de connaissances et leaders des actions qui en dĂ©coulent.
Au cours du programme, chaque participant dĂ©veloppera son propre projet de terrain, quâil partagera avec son Ă©quipe, son centre de santĂ© ou son district.
Il sâagit dâun plan concret pour sâattaquer Ă un dĂ©fi « zĂ©ro dose » dans sa propre communautĂ©.
AprĂšs avoir soumis une version prĂ©liminaire dâici le vendredi 10 octobre, ils entreront dans une phase dâĂ©valuation par les pairs.
Chaque participant recevra les retours de trois collĂšgues et, en retour, en fournira Ă trois autres, contribuant ainsi Ă renforcer le travail de chacun par lâintelligence collective.
Tracer une voie Ă suivre
LâĂ©tape suivante pour ces milliers de professionnels de la santĂ© est de consolider leurs discussions de groupe et de poursuivre le travail sur leurs projets individuels avant lâĂ©chĂ©ance de vendredi.
Le parcours se poursuivra avec des phases consacrĂ©es Ă lâĂ©valuation par les pairs, Ă la rĂ©vision des projets et, enfin, Ă une assemblĂ©e gĂ©nĂ©rale de clĂŽture pour partager les plans amĂ©liorĂ©s.
Cet exercice intensif est plus quâun simple Ă©vĂ©nement.
Il est un catalyseur pour le Mouvement congolais pour la vaccination Ă lâhorizon 2030.
Lâobjectif est de traduire la stratĂ©gie mondiale du Programme pour la vaccination Ă lâhorizon 2030 en actions tangibles, menĂ©es localement, qui produisent un impact rĂ©el.
La solution, comme le suggĂšre ce mouvement, ne se trouve pas dans des lignes directrices venues de GenĂšve, mais dans la sagesse, la crĂ©ativitĂ© et lâengagement combinĂ©s de milliers de praticiens congolais, travaillant ensemble Ă travers tout le pays.
Illustration: The Geneva Learning Foundation Collection © 2025
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