Trump, Pouvoir et Savoir
Les attaques de l'administration Trump contre les Universités américaines illustrent de manière éclatante la collusion d'intérêts entre le capitalisme dans sa forme néolibérale et l'idéologie suprématiste blanche.
Sur ce dernier point, la justification du filtrage des étudiants étrangers sur le sol américain (voire leur interdire la délivrance de visa pour études), repose sur la menace fantasmatique que ces personnes racisées sont censées incarner. Ce qui est menacé, c'est la blancheur (et on peut ranger sous cet étendard une myriade de craintes, de la sexualité au savoir, qui toutes convergent vers la perte du privilège blanc).
Concernant le premier point, il s'agit de remettre au pas les institutions de production du savoir, afin de les aligner sur les intérêts du business. Deux domaines sont particulièrement visés :
1. les sciences humaines et sociales - ou du moins les disciplines et facultés qui portent le fer de la critique ou bien contre le capitalisme lui-même en dénonçant l'injustice de manière générale qu'il produit, ou bien attaquent frontalement le grand récit suprématiste blanc (attaques rangées par les paléoconservateurs/réactionnaires sous le terme de Woke).
2. et, parmi les sciences "de la nature", celles dont les recherches révèlent les effets délétère du marché global, de la société de consommation, de la circulation des marchandises, des activités de production humaines. Le premier exemple qui vient à l'esprit, c'est évidemment les sciences du climat, au sens large, mais on peut penser également à toutes celles et ceux qui travaillent sur les pollutions, les substances toxiques et la santé humaine. Et la liste s'allonge au fur et à mesure que le savoir s'élargit et que le capitalisme se déploie dans sa forme finale de « consommation de toute chose (consuming everything) », suivant l'impératif délirant d’ « extractivisme total (total extractivism) » (Alexander Dunlap, voir ici : https://outsiderland.com/danahilliot/comment-senfuir-de-la-maison-des-bonbons-alexander-dunlap-jostein-jakobsen-et-le-mangeur-de-monde/)
Dans les deux cas, le savoir produit (explicitement ou implicitement critique) menace la libre circulation des marchandises ET donc du capital, ce qui pourrait se traduire par exemple dans des lois ou des règlements qui viendraient freiner cette circulation - c'est ce point qui est intolérable pour le libre marché global. Aussi intolérable que les résistances des populations autochtones sur le terrain (par exemple autour des grands chantiers des infrastructures, des voies de circulation terrestres et maritimes, dans les ports-usines du monde, etc..). Le qualificatif de "terrorisme" brûle les lèvres des adversaires de ces facultés qui produisent un savoir critique ou embarrassant.
Le pouvoir évidemment, celui de Trump pas plus que les autres, n'est certainement pas opposé à la production du savoir en tant que telle ! Mais il privilégie logiquement celui qui va dans le sens de ses intérêts (par exemple, pour rester dans l'actualité, toutes les recherches qui tournent autour de l'Intelligence Artificielle, les technologies de surveillance militaires et civiles, mais aussi, ne l'oublions pas !, nombre de recherches en psychologie ou en neurosciences qui sont parfaitement alignées avec l'idéologie néolibérale en épousant les normes). Il est très important de comprendre que ces attaques ne concernant pas la production du savoir en tant que tel (et beaucoup d'objets de recherche ne posent aucun problème au pouvoir, au contraire, il continuera de les financer, avec enthousiasme). Tous les chercheurs/chercheuses ne sont pas des héros ou des héroïnes, loin de là, très loin de là. La collusion de la recherche et du pouvoir ne date pas d'hier (et je vous laisse abonder avec vos propres exemples - j'en donnerai juste un, celui de l'Histoire, en pensant au livre de Priya Satia, Times Monster. History, Conscience and Britains Empire (Havard University Press 2020), dans lequel l’historienne américaine analyse la manière dont les historiens britanniques, durant la période impériale et postcoloniale, ont non seulement interprété les événements politiques majeurs de leur époque, mais les ont aussi rendus sinon possibles, du moins « pensables », « justifiables », et somme toute « tolérables » pour la conscience libérale.)
En réalité, cette offensive trumpienne s'inscrit dans la longue histoire des relations tendues entre le Pouvoir et le Savoir - dans bien des pays du monde, les historiens, les anthropologues, les géographes, et bien d'autres, doivent se confronter aux régimes de la censure, quand ils ne sont pas tout bonnement emprisonnés. Même dans les démocraties pluralistes, il n'est pas rare qu'un gouvernement tente de discipliner les disciplines (si on me permet cette expression) en nommant ici ou là un directeur d'université aligné sur les préférences qui lui conviennent, en coupant ou réduisant des financements aux recherches qui ne lui conviennent pas, en s'efforçant d'orienter les programmes d'enseignement, etc..
#Pouvoir #Savoir #Trump