Homo hominis lupus est - Très malheureusement pour lui, l'homme n'est pas un loup pour l'homme comme le prétendaient les anciens latins : il est beaucoup trop déficient en prolactine ... et bien trop prétentieux pour envisager de pouvoir s'être un jour trompé.
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Traduction de https://www.iflscience.com/they-usually-arent-second-tier-when-wolves-adopt-pups-from-rival-packs-81801
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"Ce ne sont généralement pas des seconds couteaux : quand les loups adoptent des louveteaux de meutes rivales tous les louveteaux, adoptés ou non, sont égaux."
Dr Katie Spalding
Rédactrice indépendante
Katie est docteure en mathématiques, spécialisée à l’intersection des systèmes dynamiques et de la théorie des nombres. Elle écrit sur des sujets variés, des mathématiques à l’histoire, en passant par la société et les animaux.
Édité par Laura Simmons
Un louveteau blanc dans les bois, tenant un bois de cerf dans sa gueule. Franchement, on l’adopterait bien, nous aussi !
Crédit photo : Dee Carpenter Originals/Shutterstock.com
La nature, aussi majestueuse soit-elle, peut se montrer extrêmement cruelle surtout envers les enfants issus d’une précédente union. Les lions qui prennent le contrôle d’une troupe existante pratiquent l’infanticide en priorité ; les dauphins tuent les petits qui ne sont pas de leur famille afin de pouvoir s’accoupler avec la mère ; et même chez l’humain, un nouveau partenaire est plus susceptible que le parent biologique qu’il remplace de tuer ou de blesser gravement un enfant. Mais au milieu de cette criminalité infantile galopante, une espèce se distingue par son dévouement parental – et il ne s'agit peut-être pas de celle à laquelle vous vous attendez. "Les loups acceptent les louveteaux étrangers. Lorsqu'un mâle dominant meurt ou est chassé par un intrus, le nouveau mâle dominant adopte généralement les jeunes. Cela arrive, même si c'est rare", explique Jeremy SunderRaj, technicien biologiste au Yellowstone Wolf Project.
Il faut tout un groupe
Les loups ont une certaine réputation. Historiquement, nous les avons pris pour modèle de cruauté : les tueurs impitoyables des héros de contes de fées, les chasseurs rusés des fables anciennes qui volent les moutons des enfants. Même au sein de leur propre espèce, on nous apprend qu'ils mènent une vie cruelle avec des "alphas" dirigeant la meute et des bêtas, voire des omégas si la mythologie s'étend jusque-là, obligés de subir. Mais tout ça ? C'est du pur mensonge. Il n'existe pas de "loup alpha" – et, loin d'être des brutes sans cœur, ces animaux rivalisent visiblement pour le titre de "parent de l'année". On sait désormais que les meutes de loups s'apparentent davantage à des familles – et ceux qu'on appelait autrefois le mâle et la femelle "alpha" sont en réalité simplement la mère et le père. Mais s'ils sont les parents par le sang, tous participent à l'éducation des petits : les "soins alloparentaux" – c'est-à-dire les soins prodigués aux louveteaux par d'autres adultes – "sont essentiels à la survie de la meute", explique Gisèle Narváez Rivera, conservatrice des loups au Centre international du loup d'Ely, dans le Minnesota.
La taille de la meute est l'un des facteurs les plus importants de la dynamique sociale des loups. Jeremy SunderRaj
Cette structure familiale élargie explique pourquoi on voit des loups adultes non reproducteurs apporter de la viande aux louveteaux une fois sevrés – en fait, ils la régurgitent littéralement pour les nourrir, chose que nos oncles et tantes n'ont jamais faite pour nous. Auparavant, ils apportaient de la nourriture à la louve pour la soutenir pendant qu'elle s'occupait des nouveau-nés ; plus tard, même les loups auxiliaires s'occupent des louveteaux, jouant avec eux et leur apprenant à chasser. Bien sûr, il n'est peut-être pas si surprenant que les parents au second degré d'un louveteau aient également intérêt à ce que les petits survivent. Après tout, comme le souligne SunderRaj, "la taille de la meute est l'un des facteurs les plus importants dans la dynamique sociale des loups. Les meutes plus importantes remportent généralement les batailles territoriales (qui sont la principale cause de mortalité chez les loups du parc national de Yellowstone), chassent mieux le bison et sont résistantes à la gale sarcoptique, entre autres" mais le plus surprenant c'est l'étendue de cet instinct protecteur : il s'étend non seulement aux petits de leurs frères et sœurs mais aussi à des louveteaux qu'ils n'ont jamais rencontrés.
La logique de l'adoption
Les sociétés de loups sont complexes, "bien plus complexes que la plupart des gens ne le pensent" dit SunderRaj. Pourtant, une constante semble transcender les hiérarchies : l'instinct de prendre soin des louveteaux. Cet instinct est si puissant qu'il peut parfois primer sur la loyauté envers la meute. SunderRaj explique que dans des circonstances très spécifiques les meutes adoptent des louveteaux de familles rivales, les considérant comme leurs propres enfants. "Ils ne sont généralement pas considérés comme des enfants de seconde zone. Tous les louveteaux, adoptés ou non, sont égaux." Pour ceux qui connaissent mieux les luttes intestines impitoyables caractérisant les meutes de lions, par exemple, ça peut paraître incroyable mais ça fonctionne et la raison en est en réalité assez intéressante. La grande différence entre les loups et les lions réside dans le fait que les lionnes entrent en chaleur dès que leurs petits sont tués. Par conséquent il est dans l'intérêt du mâle intrus de tuer les petits afin de pouvoir se reproduire et avoir sa propre descendance mais les loups sont différents, ils ne se reproduisent qu'une fois par an, généralement entre mi et fin février au Yellowstone" explique SunderRaj. Tuer les petits de son rival est donc une stratégie perdante. Les garder en vie, en revanche, permet d'atteindre deux objectifs : premièrement, ça augmente la taille et la force de sa meute ; deuxièmement – et n'oubliez pas, dans ce cas précis, un seul couple a le droit de se reproduire et la plupart des individus alentour leur sont apparentés d'une manière ou d'une autre – ça contribue à préserver la diversité génétique. "Les loups évitent de s'accoupler avec des proches parents et un mâle intrus finit généralement par s'accoupler avec les louveteaux femelles" explique SunderRaj.
"La physiologie joue un rôle"
Aider les louveteaux à s'épanouir même s'ils ne sont pas les vôtres est une évidence mais il s'agit de bien plus qu'une simple décision tactique pour la meute adoptive : en clair, les loups ne peuvent pas s'empêcher de veiller sur les nouveaux-nés. Narváez Rivera explique "la physiologie joue un rôle. Les loups sécrètent une hormone appelée prolactine qui est très utile pour déclencher ces comportements maternels envers les louveteaux. Le taux de cette hormone est à son maximum au moment de la saison d'élevage des louveteaux, du début du printemps à l'été, période où les loups sont le plus occupés à s'occuper des petits et tous les membres de la meute connaissent alors cette augmentation de prolactine." Au final, c'est bien plus qu'une simple particularité adorable. Dans la nature ce phénomène se produit le plus souvent lorsqu'un nouveau mâle reproducteur prend le contrôle d'une meute rivale mais par les efforts des spécialistes de la conservation cet instinct peut être exploité pour aider les espèces en difficulté à se rétablir et à prospérer.
D'après notre expérience, les adultes sont très attentionnés et accueillent ces petits à bras ouverts. - Gisèle Narváez Rivera
Appelée "adoption croisée", cette technique consiste à placer des petits issus d'une portée née en captivité dans la portée d'une meute sauvage. L'opération doit être réalisée tôt – avant que les petits n'aient dix jours – et nécessite une planification minutieuse ainsi que quelques préparatifs un peu odorants pour garantir l'accueil des nouveaux venus. D'après l'expérience de Narváez Rivera c'est généralement une réussite : "C'est un long processus", admet-elle, "mais nous tirons parti de la sécrétion de prolactine et, suivant notre expérience, les adultes sont très attentionnés et accueillent ces petits à bras ouverts." Le résultat est bénéfique tant pour les loups individuellement que pour l'espèce dans son ensemble. Les louveteaux apprennent les instincts de la vie sauvage, sont protégés par une meute prospère et vivent dans un environnement naturel. En retour, la meute bénéficie d'une plus grande diversité génétique et, il faut bien le dire, d'une augmentation significative de sa population, facteur souvent critique pour une espèce en difficulté. Jim Devos, coordinateur du loup mexicain pour le Département de la chasse et de la pêche de l'Arizona, déclarait en 2023 "Quand on place un louveteau dans la tanière et qu'on s'en va on sait qu'on a accompli quelque chose de fondamental pour la conservation du loup mexicain." Dans certains cas extrêmes, l'instinct maternel des loups peut même se manifester en l'absence de congénères. C'est du moins ce que l'histoire nous apprend : les cas sont certes extrêmement isolés mais il existe plus d'un récit d'enfants humains élevés par des loups. Cela reste cependant rarissime. Même parmi les autres canidés "je n'ai jamais entendu parler d'autres espèces adoptées par des loups à Yellowstone" précise
SunderRaj. De toute évidence, l'accueil des animaux a ses limites. Néanmoins, qu'il s'agisse de la fondation mythologique de l'Empire romain ou du rétablissement bien réel de leur propre espèce, il est clair que chez les loups, la force réside dans la douceur. SunderRaj résume : "Les loups […] ont un instinct parental très développé. Et ça marche."
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