Nogent. Encore un gosse qui tue.
Et aussitĂŽt, les ministres de dĂ©ployer leurs discours martiaux, les mĂȘmes Ă©lĂ©ments de langage servis tiĂšdes jusquâĂ la nausĂ©e : « sĂ©curitĂ© renforcĂ©e », « autoritĂ© rĂ©affirmĂ©e », « sanction immĂ©diate ». Et dans la foulĂ©e, quand lâincompĂ©tence devient doctrine : interdire les couteaux.
SĂ©rieux. Interdire les couteaux. Comme si lâon pouvait rĂ©soudre la violence adolescente Ă coups de circulaires contre les couverts. La prochaine fois, ils interdiront les stylos quatre couleurs. Ou les mains.
Le problĂšme nâest pas dans lâobjet. Il est dans lâabsence. Lâabsence de soins, de regards, de prĂ©sence adulte formĂ©e, attentive, bienveillante (oui, bienveillante, ce nâest ni un gros mot ni une marque dĂ©posĂ©e de bobo gauchiasse sans gonades. Juste le minimum vital pour entendre et voir ce qui ne va pas, avant que ça nâexplose.)
Le 22 fĂ©vrier 2023, AgnĂšs Lassalle, professeure dâespagnol, mourait poignardĂ©e en plein cours Ă Saint-Jean-de-Luz. Comme Ă Nogent, personne nâavait rien vu venir. Parce quâil nây avait personne pour voir. Pas de psy. Pas dâinfirmier·e. Trop peu de personnel dâĂ©ducation. Pas dâalerte possible dans un dĂ©sert humain.
Et Ă chaque fois, on nous ressort les uniformes, les contrĂŽles, les portiques, les brigades anti-terrorisme pour mineurs. On fait semblant de croire que la force rĂ©glera a posteriori ce que lâĂ©coute aurait pu dĂ©samorcer.
Mais non : la force ne crée pas le respect. Elle crée la peur. Et seuls les abrutis (ou les gouvernants cyniques) confondent les deux. Le respect naßt de la considération, de la confiance, du lien. La peur, elle, engendre le silence, la haine, la dissimulation⊠et la violence explosive.
Vous voulez vraiment que les gamins arrĂȘtent de craquer ? Commencez par cesser de les traiter comme des bombes Ă retardement, des ennemis intĂ©rieurs, des bĂȘtes sauvages quâon dresse Ă coups de sanctions. Ăduquer nâest pas dompter. Et une sociĂ©tĂ© qui a aussi peur de ses propres enfants vaut-elle seulement la peine quâon sây engage encore ?
Câest une vraie question.
Mais on prĂ©fĂšre lâaffichage. Des gendarmes Ă lâentrĂ©e des collĂšges comme on met un pansement sur une hĂ©morragie. Une communication musclĂ©e Ă la place dâune politique de santĂ©. Pendant ce temps, la rĂ©alitĂ©, elle, sâen fout : psy scolaires absents ou cramĂ©s, mĂ©decins scolaires disparus, profs isolĂ©s, assistants sociaux sous-payĂ©s, tous au bord du burn-out.
Et lâĂtat ? Il serre. Il serre les budgets santĂ© et culture comme il serre les poings. Et il Ă©crase les enfants contre les murs quâil dresse plus hauts, plus gris, plus menaçants.
Ce systĂšme ne veut pas des vivants. Il veut des soumis. Des jeunes bien sages, cadrĂ©s, Ă genoux, silencieux, quâon dresse comme on ne dresse mĂȘme plus les chiens, Ă coups de menaces et de privations. Et quand lâun dâeux explose, on feint la surprise. Mais tout le monde savait. Tout le monde sait. Sauf quâon ne paye pas pour savoir. On paye pour punir.
Nogent nâest pas un accident. Câest une sirĂšne dâalarme parmi tant dâautres, quâon laisse hurler dans le vide. Il nây a pas de fatalitĂ©. Il nây a que des choix.
Le choix de prĂ©fĂ©rer des portiques Ă des psys. Des flics Ă des Ă©ducs. Le choix de frapper plus fort les enfants au lieu de les Ă©couter. De les gifler en public quand ils vous font les poches, comme sâil fallait les dresser Ă lâhumiliation.
Le choix de réprimer encore, toujours, plutÎt que de prévenir enfin.
Câest un choix politique.
Câest un choix criminel.
Et tant quâon continuera Ă confondre la peur avec le respect, Ă interdire les couteaux plutĂŽt quâĂ soigner les plaies, Ă parler de fermetĂ© quand il faudrait parler de prĂ©sence humaine, il y aura dâautres Nogent.
Et dâautres morts.