---=== Je suis celui ===---
Je suis celui qui respecte les limitations de vitesse.
Je suis celui que vous croisez tous les jours, ou presque.
Je suis celui qui vous agace.
C'est vrai, je file un train de limace.
Je suis celui derrière lequel tu viens coller ton pare-chocs, ce qui est paradoxal quand on sait combien tu tiens à ta Sainte Bagnole.
Je suis celui que tu admonestes par appels de phares interposés.
Je suis celui auquel tu fais de grands gestes, m'intimant l'ordre de me pousser sur le côté pour te laisser passer car tu es pressé. Même le dimanche.
Je suis celui que tu harcèles en zigzaguant avec ta caisse, souvent un SUV qui te confère une supériorité routière autoproclamée sans te donner la moindre hauteur de vue.
Je suis celui auquel tu fais un doigt d'honneur à travers ton pare-brise, en avançant ton visage pour que je distingue parfaitement, dans mon rétroviseur, tes Ray-Ban qui font de toi quelqu'un d'important.
Je suis celui, finalement, que tu doubleras rageusement par la droite entre deux camions, en klaxonnant par saccades pour que je comprenne bien ton exaspération ; qu'écris-je ? Ta furie.
Je t'ai encore croisé aujourd'hui.
Je te croise d'ailleurs à chaque trajet.
A chaque déplacement, ou quasiment, oui.
Que je sois en voiture, à vélo ou à pied.
J'ai un aveu à te faire : je vais continuer.
Parce que la meilleure réponse à ton harcèlement, caractérisé par tes actes répétés en seulement quelques minutes, quelques secondes, c'est de te frustrer.
Parce que tu as beau vitupérer, tu es une poule mouillée dans ta Sainte Cage de Faraday.
Qui ne fait pas de toi quelqu'un pour qui on a le coup de foudre.
Parce que jamais encore, après m'avoir doublé, tu ne t'es arrêté ni n'es sorti de ton tank pour me dire clairement ta façon de penser.
Parce que c'est le seul moyen que j'ai trouvé pour te dire que tu es un danger routier.
Parce que je ne vois pas au nom de quoi tu te "permets".
Tu me fais peur, parfois.
J'enrage de colère après toi, aussi.
Car à la furie, répond la colère.
Je te déteste pour me faire ressentir ça.
Alors, je vais continuer.
Je serai celui qui accélérera doucement en ville pour ne pas consommer inutilement du carburant alors que la planète étouffe.
Je serai celui qui, en zone 30, protègera les cyclistes de toi en ne les dépassant pas.
Je serai celui qui, en ville, s'arrêtera, zéro kilomètre-heure, quand un vélo arrivera en face de moi et que la rue sera trop étroite pour qu'on se croise.
Je serai celui qui, au feu vert, refusera d'avancer si, devant, un embouteillage m'empêche de traverser un carrefour.
Je serai celui qui, à vélo, brandira son antivol métallique devant toi si vraiment, tu risques de me mettre en danger.
Je serai celui qui, toujours, s'arrêtera au passage piéton pour laisser passer cette maman et sa fillette en draisienne qui met du temps.
Je serai celui qui, ensuite, se mettra à leur niveau, lorsqu'elles auront atteint l'autre sens de circulation, pour éviter qu'avec ta camionnette, tu ne les frôles en les dépassant.
Tu n'as pas fini de me haïr.
Je n'ai pas fini de te subir.
Peut-être qu'un jour, tu comprendras.
Espérons qu'il ne sera pas trop tard.
Que tu n'auras pas commis l'irréparable.
En te rendant coupable d'un délit de fuite ; mais, "pas vu, pas pris", n'est-ce pas ?
Et si, malgré moi, tu ne comprends pas, au moins, j'aurai protégé quelques victimes de toi.
Je sais ce que ça me coûtera : du stress au volant ; de la crainte sur ma selle ; de la peur en traversant.
Me laisses-tu le choix ?
Non, tu m'imposes ton choix.
J'espère qu'un jour, je ne deviendrai pas comme toi ; que mon antivol en métal ne finira pas en rayures sur ta rutilante monture.
Je te tutoie : je ne te respecte pas.
Tu réveilles en moi des bas-instincts : tes propres bas-instincts.
Je t'en veux au plus haut point.
Tu mets ma vie sur ton pare-chocs.
Tu mets des vies devant tes roues.
Ta rage en vaut-elle le prix ?
Ta rage qui tua Paul Varry ?
Allez, va, passe ton chemin.
Ta haine de l'autre, va la crier ailleurs.
Toi qui te crois le plus malin,
Toi qui penses être le meilleur,
Toi, artisan, mère de famille ou technicien,
Tu n'es rien... derrière ton moteur.