La Grande Re-Ségrégation de l'administration Trump
https://www.theatlantic.com/politics/archive/2025/02/trump-attacks-dei/681772/
Voici sans doute une des analyses les plus intéressantes et les plus justes sur les premiers mois du gouvernement Trump. Adam Serwer avait publié en 2021 un bilan du premier mandat de Trump, The Cruelty Is the Point: The Past, Present, and Future of Trump's America, et ce grand article s'inscrit dans cette lignée - et on mesure à quel point ce qui était latent lors de la première mandature se déploie désormais sans limite lors de la seconde.
Il faudrait des pages pour en relever ici tous les points saillants, mais je me contenterai de vous renvoyer au texte et à la traduction en français ci-dessous.
1. Je voudrais toutefois souligner deux points. Contrairement au racisme souvent explicite des discours suprématistes blancs, les politiques re-ségrégationistes engagées par l’administration Trump prennent soin d'éviter dans leur discours de recourir à des arguments racistes explicites. Tout se passe comme s'ils prenaient soin de conserver la rhétorique de la société post-raciale, ou de la "colorblindness" - une société où le racisme n'existe pas. Quand bien même tous leurs actes visent à consolider et radicaliser les structures de ségrégations raciales et économiques - je dis bien "consolider et radicaliser" : car il s'agit bien de maintenir le mythe d'une société juste et méritocratique, où chacun aurait sa chance. Ce qui n'a évidement jamais été vrai (ce pourquoi c'est un mythe) :
"Si la grande ségrégation réussit, elle rétablira une Amérique passée où les minorités raciales et ethniques n’étaient qu’une présence symbolique occasionnelle dans un paysage dominé par les Blancs. Elle abrogerait intégralement les acquis de l’ère des droits civiques. Ce que veulent ses partisans, ce n’est pas le rétablissement de la ségrégation explicite de Jim Crow – cela briserait l’illusion que leurs propres réalisations sont basées sur une méritocratie sans distinction de couleur. Ils veulent un arrangement qui perpétue indéfiniment l’inégalité raciale tout en conservant un certain déni plausible, un système truqué qui maintient un mirage d’égalité des chances tout en conservant une hiérarchie raciale officieuse. À l’instar des élections dans les pays autoritaires où l’autocrate est toujours réélu haut la main, ils veulent un système dans lequel ils ne risquent jamais de perdre mais peuvent toujours prétendre qu’ils ont gagné équitablement."
2. Autre point très pertinent, et qui là non plus n'a rien de nouveau, mais est rendu en quelque sorte programmatique, c'est le privilège assumé accordé à "l'homme blanc compétent" (et là aussi soulignez au stabilo "homme", au sens de mâle, et "blanc") sur la foi de sa supposée "compétence" (ce qui peut faire hurler de rire, certes d'un rire un peu crispé, quand on connaît le background des membres de l'équipe gouvernementale). Je cite Adam Serwer :
"Comme l’a écrit Darren Beattie, fonctionnaire du département d’État de Trump, « les hommes blancs compétents doivent être placés aux commandes si l’on veut que les choses fonctionnent. Malheureusement, toute notre idéologie nationale est fondée sur le fait de dorloter les sentiments des femmes et des minorités, et de démoraliser les hommes blancs compétents. » Cette analyse est perspicace dans la mesure où c’est exactement l’inverse qui est vrai – nous sommes maintenant dans la deuxième décennie d’une crise de colère de plusieurs années déclenchée par l’élection de Barack Obama – sans parler des tentatives infructueuses d’élire une femme pour lui succéder – et de l’effet qu’elle a eu sur la fragile estime de soi de personnes comme Beattie."
Et ne peux m'empêcher de penser à cette citation du sénateur Howard, qui date de 1866, « En tous lieux, l’homme d’âge mûr est le type représentatif de la race humaine », sur laquelle j'avais glosé sur mon blog :
https://outsiderland.com/danahilliot/le-type-representatif-de-la-race-humaine/
3. Concernant la lutte systématique contre la diversité, je vous renvoie à l'excellent livre de Sara Ahmed, On Being Included: Racism and Diversity in Institutional Life [Sur l'inclusion: du racisme et de la diversité dans la vie des institutions], Duke University Press, 2012, dans laquelle la géniale philosophe anglo-australienne donne les clés pour comprendre ce qui se joue aux États-Unis sous le nom de diversité.
***
Une traduction en français ici (si les ayants droits ne souhaitent pas que je la fasse discrètement circuler, qu'ils se manifestent) :
https://www.outsiderland.com/divers/The%20Great%20Resegregation%20-%20Adam%20Serwer%20fr.pdf
NB : si vous pouviez éviter les réactions type 5èmeB du genre : "ouah trump ce faf", ça m'arrangerait bien merci.
#Trump #AdamSerwer #Racisme