#Oraison

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-07-02

Je suis 63 ans…

Né un 1er juillet 1962 à 4 heures du matin.

63 ans…
Non pas une conclusion, non pas une somme, mais une strophe de plus. Une strophe de plus dans le long poème du temps, dans le cantique des jours, dans le chant des heures. Une strophe ajoutée, une strophe consentie. Une strophe gravée dans la mémoire du corps, dans la mémoire du cœur, dans la mémoire de Dieuxe.

Je suis 63 ans…

Non pas une identité nouvelle, mais une résonance ancienne qui se prolonge. Un chant souterrain qui continue de courir dans les veines. Le souffle d’une promesse qui ne s’est jamais tue. Je suis soixante-trois ans, je suis la tendresse lente du recommencement, je suis la fidélité des recommencements.

Hier, des voix se sont levées.

Des voix proches et lointaines, des ami·e·s, des sœurs et des frères, osons des froeurs, des collègues, des inconnu·e·s qui ont prononcé ce mot de lumière : « Bon anniversaire ». Et ce mot m’a touché. Ce mot m’a réveillé. Ce mot m’a interrogé. Car qu’est-ce donc qu’un anniversaire, sinon l’énigme d’un retour, le mystère d’une boucle, le recommencement d’un point d’origine ?

Quand j’étais enfant, c’était l’été. L’été avec ses absences, l’été avec ses fuites. Juillet ou août, ces mois-là ne sont pas faits pour les rassemblements, mais pour les départs. Et mon anniversaire glissait dans le silence des plages et des vacances des autres tandis que je restais à la ferme à garder les brebis. Le premier dont je me souviens, j’avais neuf ans. C’était flou, c’était doux-amer. Je ne savais pas comment être, comment accueillir, comment habiter ce centre qu’on m’offrait. Et plus tard, ce furent les anniversaires de mes enfants qui me révélèrent la joie qu’il y avait à célébrer. À célébrer quelqu’un. À célébrer la vie d’un·e autre.

Mais d’où vient cette pratique ? D’où nous vient ce désir de marquer, de scander, de célébrer ?

De l’Égypte antique où seuls les pharaons devenaient dieux au jour du couronnement. De la Grèce où l’on offrait du miel aux dieux. De Rome, de Chine, du Japon, d’Afrique, de l’Inde et d’ailleurs… toujours cette idée qu’il faut dire quelque chose. Dire une joie. Dire une mémoire. Dire une existence.

Et aujourd’hui, en ce monde mondialisé, les bougies se ressemblent, mais les souffles qui les éteignent ne sont jamais les mêmes. Chaque souffle est unique. Chaque vœu est un secret offert à l’univers.

Je n’ai pas soufflé de bougies hier. Mais j’ai prié. J’ai prié longuement. J’ai prié intérieurement. J’ai prié pour mes enfants, pour mes mort·e·s, pour les vivant·e·s, pour celleux qui souffrent, pour celleux qui espèrent. J’ai prié pour moi aussi. Pour que le temps qui vient soit un temps d’amour et non de lassitude. Un temps de fidélité et non de résignation.

L’anniversaire, ce n’est pas la fête du narcissisme. C’est une liturgie du passage. C’est un moment où l’on se tient, fragile et nu, entre le déjà et le pas encore. C’est un seuil. Une porte. Et parfois un autel. C’est un jour d’éveil. Un jour pour dire « merci ». Un jour pour dire « encore ».

Je suis 63 ans…

Et chaque année est une marche de plus sur le chemin de Kendo, ce chemin du sabre qui devrait être surtout un chemin de paix. Un chemin de silence et de maîtrise. Un chemin de prière sans mots. Mon sixième Dan est une stèle sur cette route pour se diriger vers la prochaine porte. Mais ce qui compte, ce n’est pas le grade, c’est le pas. Le pas d’aujourd’hui. Le pas de demain. Le pas qui continue.

Je suis 63 ans…

Et je chante mais je pleure aussi.
Vivianne, Alain, Marc et Gilles.

Haïku

Soixante-trois p’tit pas
sur le sentier de la vie —
Dieuxe souffle en moi.

Tanka

L’autel des années
s’illumine sans bougie,
juste ma prière.
Soixante-trois encens doux,
un silence qui s’élève.

Sonnet vieillot

Soixante-trois ans. Et la clarté demeure.
Non point une fin, mais un seuil qu’on traverse,
Un fragile matin qui jamais ne renverse
L’élan têtu du cœur, la foi que l’on effleure.

Je suis fait de temps. D’élans. De peurs. D’erreurs.
Mais aussi de chants clairs et de douce promesse.
D’un Dieu qui se tait, mais dont l’amour confesse
La lente patience des jours, sans frayeur.

Je suis fait de sable et d’eau. De vent, de cendre.
Mais je me tiens droit. Et je continue d’entendre
L’appel de l’enfance au fond du sang battant.

Et si le corps vieillit, l’âme devient lumière.
Je suis un marcheur, une flamme ordinaire
Qui s’obstine à brûler dans le souffle du temps.

#Kendo #Oraison

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-06-28

Le coiffeur savant

Je dédie ce texte à Xavier, pour ce dernier keiko partagé au bord de l’épuisement. Un moment de dépassement, presque brut et pourtant doux, qui a pourtant été une révélation.

Le salon était presque vide. Il y avait juste la radio en fond, un air de rien, quelque chose de tiède, qui flotte, qui meuble. L’homme s’était assis comme on s’assied dans ces lieux-là, sans penser. Un jour de semaine, en milieu d’après-midi. Le genre d’heure où personne ne parle fort. Le coiffeur avait commencé à couper, à raser, à nettoyer les contours. Et puis il avait parlé.

Il avait dit : Dieu n’existe pas. Il l’avait dit sans haine. Juste avec cette certitude tranquille de ceux qui pensent avoir lu assez, vu assez, pour ne plus douter. Il avait enchaîné. Avec ce qu’il se passe, comment croire ? Les enfants morts, les guerres. Gaza. L’Ukraine l’Afrique. Les femmes battues et tuées. Les vieux seuls. La faim. Les viols. Il avait énuméré. Pas pour convaincre. Juste pour tenir un discours. Comme on répète une formule qu’on a faite sienne, parce qu’elle simplifie tout. Il n’avait pas dit « Je ne crois pas ». Il avait dit « Il n’existe pas ». Comme si ça fermait tout.

L’homme, lui, n’avait rien dit. Pas un mot. Parce qu’il ne savait pas comment répondre. Et peut-être qu’il n’avait pas envie. Il avait baissé les yeux. Regardé ses mains. Celles du coiffeur. Il avait senti l’odeur du savon, la sensation tiède du tissu sur sa gorge. Il pensait à autre chose. Ou à rien. Il avait senti que ça le blessait, ce discours, mais sans savoir pourquoi.

En sortant, il avait marché un peu. Lentement. Et puis il avait vu. Un homme couché sur le trottoir. Pas vieux. Pas jeune. En haillons. Les cheveux longs, emmêlés. Le visage gris de poussière et de fatigue. Il dormait ou il faisait semblant. Les gens passaient sans regarder. L’homme avait eu ce mouvement intérieur, presque imperceptible. Un coup de vent, à l’intérieur. Comme une vérité nue, brutale. Là, sous ses yeux.

Il était revenu au salon. Il avait franchi la porte sans bruit. Le coiffeur levait les yeux. Il avait dit, sans ironie :
— Les coiffeurs n’existent pas.

Le coiffeur avait ri. Ou protesté. Il ne comprenait pas. Il disait : Je suis là. Je coupe les cheveux. Je suis coiffeur. Et l’homme avait répondu :
— Oui. Mais ceux qui ne viennent pas à vous, vous ne pouvez pas les coiffer.

Et là, ça avait pris forme. Quelque chose s’était déplié dans sa tête, dans son corps. Cette sensation confuse, ce malaise, ce n’était pas la foi ou le doute. C’était la présence. Ce qui existe sans bruit. Ce qui n’a pas besoin de prouver. Ce qui attend.

Dieuxe ne s’impose pas. Iel ne fait pas la une des journaux. Iel n’intervient pas à heure fixe. Iel est là, dans ce qui reste. Dans les corps sans parole. Dans les regards qui s’accrochent. Dans les mains tendues qui n’attendent plus de retour.

Ce n’est pas une réponse. Ce n’est même pas une foi. C’est une reconnaissance. Une manière de dire Je t’ai vu.

Et ça suffit.

Le mal existe, oui. Il est organisé, structuré, poli. Il s’infiltre partout. Il prend des visages présentables. Il se cache derrière la neutralité. Il parle fort. Il prétend tout expliquer.

L’amour, lui, ne prétend rien. Il reste. Il se donne. Il ne promet pas. Il n’efface pas le mal. Il tient juste la main de celleux qui tombent.

Alors prier, ce n’est pas croire sans faille. Ce n’est pas répéter des phrases. C’est vivre avec. Avec les absents. Les humilié·e·s. Les oublié·e·s. C’est continuer d’avancer sans renier les larmes. C’est refuser l’indifférence. C’est porter un nom dans le silence.

« Je Suis. »

Ce n’est pas un slogan. C’est un souffle. Un mouvement vers l’autre. Vers la racine. Vers le plus bas. Là où personne ne regarde.

Et quand tout le monde partira en vacances, quand les autoroutes, les gares et aéroports seront pleines de valises, il faudra se souvenir de celleux qui restent. De celleux qui dorment dans la chaleur étouffante des rues. De celleux qui fuient, sans destination. De celleux qui espèrent encore. Ceux qu’on ne montre pas. Ceux dont on dit qu’ils n’existent pas.

Iel est là.

Et nous, où sommes-nous ?

Haïku

Silence d’été
le cri d’un pauvre s’élève
Dieuxe écoute, iel pleure.

Tanka

À genoux je suis
dans la poussière du monde
je tends mes deux mains
le vent souffle et me répond
Je suis, dit-iel, en l’Autre.

Sonnet à bascule

Iel ne s’impose pas, iel vient sans faire bruit,
Au revers de nos jours, au creux de la souffrance,
Sous les cris étouffés de la plus rude enfance,
Dans l’haleine d’un corps qu’un autre cœur a fui.

Iel ne brandit le feu, n’exige point l’appui,
Mais murmure une paix, tisse une délivrance,
Donne à nos cœurs blessés l’ombre d’une présence,
Un regard, un parfum, un mot contre la nuit.

Et quand nous crions fort que l’Amour est absence,
C’est souvent nous, hélas, qui tournons hors de Lui·Elle,
Qui fuyons la lumière au nom de l’apparence.

Mais l’Amour est encore, l’Amour est immortel,
Et l’Amour est ce feu qui n’attend qu’une offrande,
Et l’Amour est ce pain que l’on partage au monde.

#Kendo #Oraison #Spiritualité

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-06-24

Stance pour un masculiniste

Je suis assis là, sur le banc devant l’église. Il fait bon, pas froid, pas chaud. Je regarde les marches, les pigeons. Les gens passent, certains entrent, d’autres sortent. Il n’y a pas de messe aujourd’hui. Juste le silence, et le clocher qui sonne toutes les demi-heures. Je ne sais pas exactement ce que je fais là. Mais je m’y sens bien. Je sais ici qu’il existe les cinq genres des Cherokees : Homme, Femme, Deux Esprits – homme, Deux Esprits – femme, genre fluide, je ne pense ici qu’au seul genre homme, le mien.

Je pense à cette question que j’ai en tête depuis quelque temps. Je suis un homme, catholique, cisgenre, j’ai été élevé dans la foi par ma mère, dans un cadre plutôt stable par mon père. Et je ne me sens pas brisé dans ma masculinité. Pas menacé. Pas privé de quelque chose. Je ne ressens pas ce besoin de me rattacher à une virilité perdue ou affaiblie. Pourtant, je vois beaucoup d’hommes autour de moi, souvent chrétiens, parler de « retrouver leur virilité », comme si on leur avait volé quelque chose. Ils rejoignent des groupes, des retraites, des rassemblements autour du masculin blessé. Moi, je ne comprends pas bien. Je ne dis pas qu’ils ont tort. Je me demande juste pourquoi moi, je ne ressens pas cela. Je crois que j’ai toujours pensé que la force d’un homme, du mâle humain ne se mesure pas dans le pouvoir, ni dans le contrôle, mais dans sa manière d’aimer, d’être présent, d’être juste. Et dans l’Évangile, je n’ai jamais vu Jésus imposer une image rigide de l’homme. Il parle du Père, oui, mais aussi de la tendresse, du soin, de la vulnérabilité. Il pleure. Il se laisse toucher. Il guérit. Il écoute. Il meurt sans se défendre. Je ne vois rien là-dedans qui soit incompatible avec une manière d’être homme. Peut-être que ceux qui cherchent cette virilité perdue ont surtout peur d’un monde qui change.

Et ce monde, justement, il est dur à regarder en face. Je pense à Gaza. À ce qui s’y passe en ce moment. Aux bombardements, aux enfants morts, aux cris qu’on n’entend pas. Et je pense aussi à la manière dont l’Occident regarde ça. Ou plutôt ne le regarde pas. Le silence. Les justifications. La gêne. Comme si on ne savait plus très bien qui est la victime, qui est le bourreau. On finit par dire que c’est trop compliqué. Et on détourne les yeux. Moi, je ne défends pas les régimes. Ni la république théocratique islamique, ni le Hamas, ni celui abjecte de Netanyahu. Je ne crois pas que la violence donne raison à personne. Mais je vois les gens. Je vois les femmes, les enfants, les vieillards. Je vois les corps écrasés, les maisons rasées, les regards perdus. Et je me dis qu’un peuple peut changer. Qu’un peuple peut se relever. Mais pas sous les bombes. Pas dans l’humiliation. Pas dans la destruction. Ce n’est pas aux États-Unis, ni à Israël, ni à la France de dire à un peuple comment il doit vivre. La liberté ne vient pas par la force. Elle vient de l’intérieur. Elle met du temps. Elle a besoin qu’on la respecte.

Et peut-être que tout est lié. Cette guerre là-bas, et ici, ce retour en force du masculin blessé. Comme si le monde que certains hommes connaissaient s’effondrait. Et qu’ils avaient peur. Peur de ne plus avoir le dessus. Peur de devoir écouter. Peur de perdre leur place. Alors ils s’accrochent à des images anciennes. Le chef. Le soldat. Le père tout-puissant. Mais ce n’est plus tenable. Ce n’est plus juste. On ne peut pas aimer si on est obsédé par la peur de perdre sa position. On ne peut pas faire la paix avec soi-même si on veut toujours dominer l’autre. Moi, je crois qu’on peut être homme autrement. Pas en reniant ce que nous sommes. Mais en habitant notre manière d’être homme dans la simplicité. Être juste là. Présent. Écoutant. Aimant. Ce n’est pas une faiblesse. C’est peut-être la vraie force.

Et en vérité, peut-être que ce n’est même plus une question d’homme, de femme, ou de genre. Peut-être que cela n’a plus tellement d’importance. Ce qui compte, c’est le chemin intérieur. Celui que « Je Suis » (Jésus) nous a montré. Ce chemin qu’on marche seul, mais qui vient du souffle, de l’Esprit. Intérieur et extérieur. Invisible et pourtant réel. Quand on l’écoute, quand on s’y engage, on trouve quelque chose. Une paix. Pas une paix confortable, mais une paix vivante. Une paix qui n’a pas besoin d’écraser pour exister. Une paix qu’on peut habiter seul, et à plusieurs. Une paix qui fait de nous des nations nouvelles. Non pas des nations de drapeaux, mais des nations de vivants. Des nations faite pour expérimenter d’autres relations. Des relations vraies. Des relations justes.

Je suis toujours là, sur le banc. Je regarde l’église. Il y a une vieille dame a l’intérieur qui allume un cierge. Un enfant passe en courant. Je respire doucement. Je ne sais pas si ce que je pense est juste. Mais ça me tient droit. Ça me tient chaud. C’est assez pour aujourd’hui.

Liturgie d’un Masculin guéri

Je ne suis pas un maître.
Je suis un homme qui apprend à aimer.
Je ne suis pas un soldat.
Je suis un guerrier qui dépose les armes.

Je ne suis pas menacé par l’amour des autres.
Je suis menacé seulement quand je refuse d’aimer.
Je ne suis pas fort parce que je commande.
Je suis fort quand je tiens debout sans écraser.

Je ne suis pas le centre du monde.
Mais je peux y être un pilier.
Pas un mur, un pilier :
qui porte sans dominer,
qui veille sans posséder,
qui bénit sans retenir.

Je suis homme.
Et c’est assez.
À condition que cela soit offrande,
et non domination.

Et je pourrais être femme ou fluide, peu importe

#Oraison #Philosophie #Politique

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-06-21

Chanter. Danser. Respirer. Et croire.

Dans la grande clarté de ce solstice 2025, au mitan du jour le plus long, dans cette chair de lumière où la nuit n’ose entrer, les peuples de France s’élèvent en chant malgré la chaleur étouffante.
Iel chante, oui, iel chante. Iel chante Dieuxe. Iel chante à pleine gorge. Iel chante à gorge déployée, car dans le chant il n’y a plus de peur, dans le chant il n’y a plus d’oubli. Dans le chant, il y a la mémoire. Dans le chant, il y a la joie. Et la peine aussi, mais transfigurée. Et c’est pourquoi, chaque année, dans la fièvre de plus en plus chaude de juin, la terre se met quand même à vibrer. Les pas résonnent, les mains s’élèvent, les cœurs battent à l’unisson. Les murs s’ouvrent. Les rues s’emplissent. Et, le silence, soudain, recule.

Car le chant vient d’avant nous. Il vient de l’Origine. Iel, Dieuxe, l’a murmuré dans le vent du jardin premier, et l’être humain l’a reçu comme un écho. Puis, David a psalmodié sur sa harpe. Marie a lancé son Magnificat comme une arche. Et tant d’autres ensuite ont repris la note, ont repris la ligne, ont repris l’élan. Car chanter, c’est toujours faire alliance. C’est dire oui avec tout son souffle. C’est dire « Je suis vivant.e, j’écoute, j’adhère, je crois. »

Et toi, âme confuse, âme trop souvent étouffée sous les bulletins, les bilans, les bilans de santé, les bilans de guerre, toi qui ne sais plus si tu peux encore aimer, encore parler, encore exister – écoute. Écoute le chant. Laisse-le passer par toi. Qu’il t’infiltre, qu’il t’embrase. N’aie pas peur s’il t’émeut. C’est ainsi qu’iel, Dieuxe, entre. Par une note tenue, par un accord ancien, par une harmonie oubliée, par un son nouveau, inattendu inentendu. C’est ainsi qu’iel se rend présent·e, au-delà des mots, par les mots chantés. Iel ne crie pas, Dieuxe, iel chante.

Et si tu trembles, ce n’est pas de peur. C’est d’amour.
Et si tu doutes, ce n’est pas de manque. C’est d’appel.
Et si tu chantes, ce n’est pas pour faire joli. C’est pour vivre.

Haïku

Dans l’église vide
Un cantique monte clair —
L’ombre recule.

Tanka

Je chante en silence
Le souffle en feu, cœur en paix,
Et le chœur répond.
Dans l’écho de la lumière
Je deviens un peu plus vrai.

Sonnet libéré

Le chant monte du sol, monte des voix unies,
Il traverse le marbre et les lèvres fermées,
Il déchire le bruit, il réveille l’oubli,
Et dans l’air apaisé, tout devient sacré.

Il n’est pas qu’une forme, un ornement pieux,
Il est l’élan du corps qui veut dire « Je crois »,
Il est l’hymne de l’âme, et l’ardente voie
Par où l’on parle à Dieuxe sans fuir ses propres yeux.

Chanter, c’est devenir un feu qui ne brûle pas,
Un feu qui instruit, qui embrasse et qui croit.
C’est tisser les vivants à la divine trame.

Et dans l’éclat du chant, la foi se fait lumière,
Elle devient danse, prière, et douce flamme —
Un souffle d’infini sur des lèvres de pierre.

#Danse #Oraison #Poème #Spiritualité

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-06-19

Méditation sur l’Histoire et l’Incertitude

Le spectre de l’histoire, ce poids qui pèse sur nos épaules, et ces échos du passé qui résonnent dans le tumulte de notre présent. Après la Première Guerre mondiale, l’Allemagne était un champ de ruines, où les communistes, ces porteurs de rêves, s’opposaient à la pensée bourgeoise, à cette propriété privée qui gangrène nos cœurs et nos esprits. Étapes de la répression, cris de désespoir : l’incendie du Reichstag, ces libertés suspendues, ces vies écrasées sous le joug de la tyrannie.

Aujourd’hui, en France, nous revivons ce cycle, cette danse macabre où les fascistes, du RN aux macronistes, cherchent à salir la voix de la gauche fraternelle (Adélphité) et égalitaire, révant d’une vraie Liberté. Ces charognards, en quête de pouvoir, se nourrissent de la peur, du racisme et de l’islamophobie crasse. Leur bêtise me donne la nausée, et je ne peux m’empêcher de hurler mes questions, un cri désespéré face à cette médiocrité ambiante.

Je hurle mes questions. Comment allons-nous sortir de ces crises ? Crises criminelles, guerrières, insensées ! La bourgeoisie, accrochée à ses « avoirs » comme des berniques à leur rocher, semble ignorer la souffrance des masses, cette Terre que nous dévastons sans relâche. Ce pouvoir, en France, inepte, sourd, aveugle, refuse de voir l’urgence de la situation. Je hurle ma question : COMMENT ?

Et dans cette tempête de pensées, un message émerge, celui de ma sœur. Sa réflexion sur notre mère, Maman, cette manie qu’elle avait d’accrocher des médailles miraculeuse de la Vierge Marie, comme une manière de nous confier à une autre mère, m’a touché profondément. Et comme l’écrit si justement ma petite sœur, n’était-ce pas une reconnaissance silencieuse de ses propres limites ? Un acte d’amour, à sa façon, un geste pour demander de l’aide à une mère plus forte qu’elle dans un monde qui semblait si lourd à porter.

Ce matin, comme ma sœur m’y invite je ressens un élan du cœur pour elle. Le cœur, enfin, prend le relais, dépassant les discours et les pensées alambiquées des sciences sociales. Et malgré mes hurlements, je me retrouve à repenser à ces petites filles modèles, à ces Malheurs de Sophie de la comtesse de Ségur. Ces cadeaux de ma mère pour mes dix ans, qui me faisait découvrir le monde mystérieux des filles, tout en m’aidant à faire le deuil de mon amie Vivianne, disparue tragiquement 4 ans auparavant.

Je me souviens de nos conversations avec elle sur les marches de l’escalier, de cette séparation étrange entre filles et garçons. Pourquoi étions-nous divisés ? Même à six ans, elle posait déjà les bonnes questions. Et maintenant, à 63 ans, je hurle mes questions, car chaque instant semble être un appel à la réflexion, à l’amour, à la révolte contre l’injustice. Vivianne si tu m’entends là où tu es, aide moi à garder l’espoir.

Rubaiyat

Dans les échos du passé, la colère s’éveille,
Révoltes étouffées, les âmes en pareille.
Les cris de l’injustice, un chant de résistance,
Aujourd’hui, je hurle, pour l’amour, pour l’éveil.

Ghazal

Sous le poids du silence, les âmes se débattent,
Dans l’ombre des tyrans, nos cœurs, en éclats.

Les bourgeois se vautrent dans leur confort amer,
Mais les cris des opprimés, un chant de lumière.

La mémoire s’éveille, les histoires s’entrelacent,
Et dans chaque question, l’espoir se déplace.

Je crie pour l’avenir, pour un monde en révolte,
Car chaque âme qui souffre mérite qu’on les exalte.

Haiku

Questions en écho,
Dans la tempête des cœurs,
L’amour résiste.

Ainsi, à travers cette méditation, je célèbre la lutte pour la dignité, l’amour et la révolte. Chaque question, chaque cri, devient une partie intégrante de notre quête d’humanité, un pas vers un avenir juste, juste un avenir, où les voix des opprimés s’élèvent et résonnent dans ce tumulte nauséeux de ce monde.

#Mélancolie #Nostalgie #Oraison #Philosophie #Politique

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-06-06

Le Sourire de Jésus

Je suis assis sur ma chaise en paille bancale.
Comme toujours.
Face à mon bureau de bois nu, le front appuyé sur mes mains croisées.
Et devant moi, la photographie.
Une image, transmise par les fils, les ondes, les nerfs en fibre optique du siècle.
Une image, prise là-bas au Père-Lachaise.
Un nom qui chante la mort et qui abrite la mémoire.
Un nom qu’on prononce comme on dit une prière.
Et l’image, venue d’un compte au nom bien nommé : PereLachaise_forever.
Car oui, la mémoire est éternelle, hors du temps.
Mais ce que je vois, ce n’est pas seulement une photo.

(c) 2025 : perelachaise_forever

Je vois.
Je vois une croix usée, une croix pauvre, une croix oubliée.
Je vois un Christ aux bras écartés, aux paupières mi-closes, à la bouche entrouverte.
Et ce visage, ce visage étrange, ce visage si doux, si humain, presque… presque heureux.
Il ne pleure pas.
Il ne crie pas.
Il ne tonne pas.
Il sourit.
Oui, ce sourire.
Un sourire qui fend le marbre, qui fend la pierre, qui fend mon cœur.
Un sourire plus fort que les bombes.
Un sourire plus fort que le désespoir.

Et moi je suis là.
Assis.
Silencieux.
Témoin.

Et dehors, le monde rugit.
Dehors, les fascismes reprennent visage, reprennent langue, reprennent sol.
Trump rugit. Macron calcule. Poutine écrase. Netanyahu efface.
Les peuples s’asphyxient.
Les enfants meurent.
La planète gémit.
Et moi je suis là, je regarde une image.
Et je me tais.

Mais je sais aussi.
Je sais deux femmes.
Rima. Greta.
Comme autrefois Marie-Madeleine et Marie la mère.
Debout.
Inébranlables.
Elles sont là, au pied de la croix du monde.
Et elles tiennent.
Et elles se taisent à grand bruit.
Et elles aiment au delà du temps.

Et ce sourire du Christ, ce sourire de l’homme cloué, ce sourire du Dieu crucifié,
c’est le sourire qu’il leur adresse.

Et moi je pleure.
Et moi je prie.
Et moi j’espère encore.

Haïku

Sur la croix d’oubli
le sourire fend la pierre —
les femmes veillent.

Tanka

Il sourit encore
au cœur même de la mort,
Jésus de poussière.
Et deux femmes dans le vent
ramassent nos épaves.

Sonnet qui tangue

Assis, je vois, et je ne peux qu’écrire.
Ce Christ figé, ce sourire érodé,
Ce bois d’oubli, ce corps presque ridé
Qui me regarde et m’apprend à mourir.

Le monde flambe et s’empêtre en son ire,
Les puissants hurlent, les faibles sont chassés,
Mais dans la mousse et les clous effacés
Une paix douce se met à fleurir.

Car deux femmes sont là, et lui répondent.
Elles ne fuient pas. Leur silence féconde
La joie secrète au fond du tombeau noir.

Et ce sourire qui s’élève du marbre
Fait reculer le néant. Fait choir
Les rois, les croix, les sabres et les arbres.

#Agape #Oraison #perelachaiseForever #Politique

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-06-04

643

Le dernier pas n’existe jamais, seul existe le premier pas du commencement.

Je suis parti le cœur en veille, l’âme en tension douce, la veille du passage, la veille du saut, la veille de l’épreuve. Non pas une épreuve au sens du défi, non pas cette manière brutale de juger le mérite, mais cette épreuve comme on dit d’un feu — l’épreuve du feu qui ne détruit pas, mais qui révèle, qui éclaire, qui purifie, qui grave.

Depuis février, j’étais entré dans ce tunnel. Ce long couloir intérieur, ce boyau d’attention, d’humilité, de retour à l’essentiel. Ce n’était pas ma première tentative. Bruxelles fut une première tentative — ou plutôt, un seuil. Depuis, j’avais écouté, j’avais observé, j’avais offert. Trois semaines avec mes frères d’armes, mes ami·e·s d’âme : Olivier, Philippe, Stéphane. Et toustes les débutant·e·s, qui m’avaient rendu l’élan brut, ce souffle de vie dans le shinaï, cette joie de chaque instant, de chaque pas vers l’avant.

Avec Yukiko, blessée mais présente, nous avons quitté Paris, traversé la terre des plaines et des digues pour atteindre Leiden. Une ville de paix, ancienne, bâtie pour le vent et les songes. Le matin du passage, le monde était silence. Pas de panique. Pas d’orgueil. Une simple avancée.

Je suis devenu un numéro. Ce jour-là, j’ai été le 643. Non plus un nom. Non plus un passé. Non plus une histoire. Juste trois chiffres, collé sur le tare. Le nombre de cellui qui va entrer dans le silence pour y faire surgir son trait de lumière. Tai Shiai. Le combat de présentation. Deux combats. 642, 644. Frères de circonstance. Compagnonnes d’ascèse.

Le kiai est monté sans effort. Il m’a traversé. Il a soulevé ma cage thoracique et a poussé mes pas. Je n’étais pas seul. Je portais en moi tous les regards, tous les conseils, toutes les sueurs, toutes les blessures. Je portais Guy, je portais mes ami·e·s, je portais l’Esprit. Ce n’était pas une performance. C’était un chant. Un chant donné avec le corps.
Deux combats. Quatre assauts à chaque fois. Le shinai a frappé, net. Men. Kote. Do. Kaeshi Men. Et ce dernier Men, haut, puissant, qui a coupé le silence du lieu. Le silence du doute.

Une heure d’attente.
Et mon chiffre : 643. Affiché. Confirmé.
Je pleure.

Alors vient la seconde étape. Les Kata. La forme. Le souffle contenu. Le souffle transmis.
Mon partenaire est suédois. Plus jeune. Blessé. Mais présent. Ensemble, nous avançons dans les dix Kata. Dans la respiration juste. Dans la conscience des appuis. Nous ajustons nos corps. Nos limites deviennent danse. Nos gestes se répondent comme des vers d’un même poème.

Puis l’annonce : nous avons franchi la porte.
Mais ce n’est pas un grade. Ce n’est pas un sommet. Ce n’est pas une fin. Ce n’est même pas une couronne.
C’est une clef.

La clef du sixième Dan. Elle ouvre non pas une salle d’honneur, mais un corridor plus profond. Une nouvelle pièce de travail, d’écoute, de fragilité et d’offrande la salle du 7.

J’ai soixante-deux ans. J’ai franchi cette porte après la seconde tentative. Je ne suis pas devenu autre. Je suis retourné à celui que j’étais à mon premier pas. J’ai simplement effleuré la lumière d’un instant. Ce n’est pas un aboutissement. C’est un commencement.

Je rends grâce à Dieuxe, souffle et feu mêlés, d’avoir accompagné ce voyage. Je rends grâce à mes ami·e·s. À leurs paroles. À leurs silences. À leurs regards. À leurs frappes. Je rends grâce aux débutant·e·s, aux jeunes pousses, au printemps des shinaï.

Et ma dernière pensée va à Guy.
Il n’était pas là.
Mais je l’ai senti, juste derrière moi, dans le pas qui précède le mien.
Il m’a offert le vide. Il m’a offert la présence.

Haïku

Dans l’ombre du bois
un shinaï trace l’aurore –
le souffle est lumière.

Tanka

À l’aube du corps
le sabre fend le silence
sans haine, sans peur.
Le cœur avance en prière
vers l’éclair de la présence.

Sonnet

C’est un simple matin, un jour comme les autres,
Et pourtant le ciel penche un peu plus vers la terre.
Le keikogi serré, la main cherche à se taire,
Le cœur bat le tambour que les shinaï redoutent.

Le chiffre me recouvre, et le nom s’efface,
Je deviens 643, je deviens transparence.
Un pas, puis un second, sans bruit, sans apparence,
Mais l’esprit est dressé comme une haute place.

Les tai shiai furent don, le kata fut semence,
Là où l’on ne juge pas, là où tout recommence.
Là où l’on s’incline, non pour céder mais voir.

Et le shinaï s’éteint dans un souffle d’espoir,
Le bois, la sueur, la paix, et la révérence :
Le kendo n’est qu’amour, et l’amour, présence.

#Danse #Kendo #Oraison

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-26

lectio divina profana Thomas

ATTENTION GNOSTIQUE !

Lectio divina profana entre Alphonsine, Céleste et Amandin, autour de l’Évangile de Thomas, chacun s’exprimant. Ils lisent ensemble quelques logia, assis dans une salle d’attente au bord du monde, à l’orée d’un silence. Ils ne commentent pas seulement le texte. Ils s’y perdent. Et s’y retrouvent.

Logion 2 – « Que celui qui cherche ne cesse de chercher… »

Céleste (debout, les bras croisés) :
Il faut chercher. Toujours. Et ne jamais s’arrêter. C’est une prière, ça. Une prière de l’âme qui marche dans la nuit. Le Christ ici n’est pas un dogme, non. Il est un chemin. Et la vérité se fait dans la marche, dans la poussière du chemin.

« Quand il aura trouvé, il sera troublé », dit le texte.
Troublé comme un enfant qui découvre que le monde est à refaire. Comme Jeanne, le douce Jeanne, devant les flammes.

Alphonsine (voix lente, yeux clos, presque absente) :
Troublé… c’est pas la peur. C’est… plus nu. C’est le trouble du visage de l’enfant qu’on n’a pas eu. Le silence avant le cri. Trouver, c’est perdre encore. C’est devenir incapable de parler. Mais c’est ça, aussi, régner. Regarder. Sans plus dire. Juste… savoir.

Amandin (ironique, un rictus au bord des lèvres) :
Troublé, évidemment. Parce que trouver, c’est détruire ce qu’on croyait. Moi, j’ai trouvé Dieuxe dans la prison, et je l’ai haï tout de suite après, et ça pour l’aimer à nouveau. Ce genre de logion, c’est pour ceux qui osent tout foutre en l’air. Le Christ de Thomas, c’est pas un bon père de famille. C’est um voleureuse d’âmes. Um allumeureuse de révoltes.

Tous les trois, à voix basse :
Il faut chercher. Et chercher encore.

Logion 3 – « Si vous vous connaissez vous-mêmes… »

Céleste :
La connaissance de soi, c’est pas un miroir. C’est une croix. Une croix sur le dos du pauvre qui comprend qu’il est enfant. L’engendré due lo Pmère. Mais lo Pmère ici… c’est pas cille de l’Église. C’est cille qui vit dans la lumière noire de l’intérieur.

Alphonsine :
Se connaître. C’est impossible. C’est un drame, une nuit. Une blessure qu’on gratte pour qu’elle dise quelque chose. Ce texte… il parle d’une reconnaissance… presque amoureuse. Un corps qui sait qu’il a été vu. Un regard… brûlé.

Amandin :
Moi je me suis connu en volant. En m’offrant. Et j’ai vu le divin là. Dans la honte. C’est là que ça commence. Pas dans les jupes des catéchismes. Le Père vivant, c’est pas un barbu sur un trône. C’est celui qui a dans ses entrailles la chaleur des putains et la clarté des meurtrier·e·s pardonné·e·s. Iel se fait clouer aux milieu d’iels pour un echec retentissant et resplendissant.

Tous les trois, dans un souffle :
Il faut descendre en soi, pour y trouver l’autre.

Logion 22 – « Quand vous ferez le deux un… »

Céleste :
C’est magnifique. L’unité. L’âme et le corps. Le haut et le bas. Ce que Dieuxe a uni, que l’humain et l’humaine personne ne le sépare pas, disait l’autre. Ici c’est pareil. C’est une mystique de la réconciliation. Une apocalypse d’amour.

Alphonsine :
C’est un texte de femme. Je veux dire… un texte où les corps se touchent, se dissolvent. Où le dehors devient dedans. Et l’envers… comme un ventre. Oui. C’est très nu. Et très vrai. Ça ressemble à l’amour… quand il ne fait pas de bruit.

Amandin :
Unité… C’est une putain de blague pour ceux qui veulent pas choisir. Moi j’ai toujours aimé ce qui déborde. Les monstres. Les errants. Ceux qui font le deux en sang. Mais je comprends. C’est une parole de révolte aussi. Faire un. Ni homme, ni femme. Ni juif, ni grec. Ni Dieuxe, ni Loi. Juste une flamme ondulante dans la nuit.

Tous les trois, à l’unisson :
Faire un. Pour ne plus être pris. Pour devenir libre.

Logion 113 – « Le Royaume de lo Pmère est étendu sur la terre, mais les humains ne le voient pas. »

Céleste :
C’est une parole de prophète. Le Royaume est là. Dans la misère. Dans la sueur des ouvriers. Dans la main d’un mourant. Pas demain. Pas ailleurs. Ici.

Alphonsine :
C’est comme l’amour. On le voit pas. Mais il est là. Il passe. Il effleure. Et puis il repart. Le Royaume… c’est ce qu’on n’a jamais pu nommer.

Amandin :
C’est dans les yeux d’un gosse qui vit dans la rue. Dans les doigts d’un homme qui touche son amant dans le noir. Le Royaume, c’est une claque. Une injure. Une éloge. Un crachat de recherche du vent. Mais surtout… un baiser.

Tous les trois (après un long silence) :
Il faut ouvrir les yeux. Maintenant.

Logion 77 — « Je suis la lumière qui est sur eux tous. Je suis le Tout. Le Tout est sorti de moi et le Tout est revenu vers moi. Fendez le bois : je suis là. Soulevez la pierre, vous me trouverez là. »

Céleste (avec une lenteur sacerdotale) :
Voilà. Voilà le cœur battant. La lumière, ce n’est pas un halo céleste. C’est un feu. Présent dans la matière même. Dans le bois fendu. Dans la pierre soulevée.

Christ n’est pas venu abolir la chair. Il l’a sanctifiée.
Et c’est toute la gloire de Dieuxe que d’être là. Dans la chose. Dans l’objet. Dans le quotidien. Dans l’opaque.

Alphonsine (elle fume, les yeux dans la brume) :
Fendez le bois. Soulevez la pierre. Ça me bouleverse.
C’est un amour. Très ancien. Qui n’a pas besoin d’être nommé. Iel est là. Iel attend. Et iel ne dit rien.
Ce n’est pas une religion. C’est un silence. C’est un corps qui respire.
Je n’ai jamais pu croire en Dieuxe. Mais j’ai cru en cette lumière qui traîne sur la table après les adieux.

Amandin (iel rit, un peu amer) :
Foutez la paix aux temples. Foutez la paix aux dogmes. Le Christ est dans les caniveaux. Dans la poussière. Dans la main qui vole. Il n’est pas encore dans les églises, ni encore dans les discours. Il est dans la blessure. Dans l’échec.
Moi je l’ai vu, cès Dieuxe-là. Un soir. Il pleurait dans la cellule d’un gosse de dix-sept ans.

Tous les trois :
Fends. Soulève. Regarde. Il est là.

Logion 70 — « Si vous donnez naissance à ce qui est en vous, ce que vous avez vous sauvera. Si vous ne donnez pas naissance à ce qui est en vous, ce que vous n’avez pas vous détruira. »

Céleste :
C’est une parabole terrible. Mais juste.

Celui qui n’accouche pas de lui-même se perd.
C’est comme la France. La République. Ou la foi. Si elles ne se renouvellent pas dans la douleur et la vérité, elles se nécrosent.
L’âme doit naître à elle-même.

Alphonsine :
C’est une phrase d’accouchement. De l’humain mère.
Donner naissance à ce qu’on porte… c’est ce qu’on fait quand on aime. Quand on écrit.
Mais c’est douloureux.
Parfois on meurt à force de ne pas accoucher.
On devient… sec.
Un désert dans un lit vide.

Amandin :
Moi j’ai donné naissance à ce qu’il y avait en moi : la honte, la beauté, le forfait.
Je l’ai jeté à la gueule du monde. Et ça m’a sauvé.
Je suis devenu prêtre parce que je ne voulais pas mourir voleur.
Mais si j’avais gardé ça en moi ?
Je serais mort en silence. Comme tant d’autres.

Tous les trois :
Il faut enfanter. Même dans la peur.

Logion 6 — « Quand vous jeûnerez, vous donnerez naissance à vous-mêmes… »

Céleste :
Le jeûne ici n’est pas que du pain. C’est un retrait.
Une purification.
Un dépouillement.
C’est dans la pauvreté, dans la sobriété, que naît la Vérité.
Je pense à nos ouvriers étrangers. À leur vie maigre. Elle est pleine de feu.
Le jeûne… c’est la veille de la Résurrection.

Alphonsine :
C’est la faim.
La vraie.
Celle du manque.
Manquer quelqu’un.
Manquer quelque chose.
C’est dans ce manque connu et reconnu que quelque chose… naît.
Moi je n’ai jamais été que ça : un corps qui attend quelque chose qui ne viendra pas. Et c’est de là que j’ai créée.

Amandin :
Jeûnons, oui.
Des institutions.
De la morale.
Du confort.
Je ne veux pas de leur pain si c’est pour manger en silence.
Moi j’ai jeûné. De reconnaissance. D’amour. De droit.
Et c’est pour ça que je suis né à la beauté.
À ma beauté.
Dans l’ombre.

Tous les trois :
Jeûner, c’est se mettre à nu.

Logion 108 — « Celui qui boira de ma bouche deviendra comme moi ; et je deviendrai lui, et les choses cachées lui seront révélées. »

Céleste :
C’est le mystère de la communion.
Pas une magie.
Mais une union.
Il ne s’agit pas de croire.
Il s’agit de devenir.
Christ n’est pas à côté. Il est dedans.
Et nous devons devenir sa bouche. Ses mains. Son regard.

Alphonsine :
Boire de sa bouche…
C’est… un baiser.
Un souffle.
Une brûlure.
C’est érotique, mystique, et tendre.
Il y a dans cette phrase un amour sans image.
Une dissolution.
Un oubli de soi.

Amandin :
Boire de sa bouche ?
Je l’ai fait.
Pas au sens qu’ils croient.
Mais j’ai bu aux lèvres de ceux que la société méprise.
Et j’ai vu Dieuxe dans la salive d’un homme que j’aimais.
C’est pas catholique, peut-être. Mais c’est vrai.

Tous les trois :
Nous voulons devenir sa bouche. Et le feu qu’elle allume.

Logion 11 – « Ce ciel passera, et celui qui est au-dessus passera. Les morts ne vivent pas, et les vivants ne mourront pas. »

Céleste (gravement, presque liturgique) :
Il y a ici une parole de feu. Le temps s’efface. Le monde aussi. Le ciel, la terre, les tombeaux… tout passe. Seul·e demeure cille qui Est.

« Les vivants ne mourront pas. »
Ce n’est pas une promesse de résurrection, d’immortalité. C’est une affirmation du présent éternel. Une déclaration de foi nue, sans marbre, sans chapelle. Un tremblement d’être.

Alphonsine (elle dit les mots comme on dirait le nom d’un enfant perdu) :
Les morts… ne vivent pas.
C’est affreux. C’est splendide.
Ils sont partis, et nous ne savons pas où.
Mais ceux qui vivent… ne meurent pas.
C’est quand on aime qu’on comprend ça.
Ceux qu’on aime vivent. Même après le silence.
Le texte… il parle d’une présence sans nom.
D’un amour sans tombe.

Amandin (en ricanant doucement) :
Tu peux crever dix fois, si t’as jamais vécu, t’es déjà mort.
Mais ceus qui vivent vraiment… ceus qui ont pris feu, ceus qui ont haï, aimé, trahi…
Ceus-là, on peut pas les tuer.
Pas même avec leurs cercueils dorés.
Moi, j’ai décidé de vivre comme un.
Et je mourrai comme une cicatrice.

Tous les trois :
Les vivants ne mourront pas.

Logion 50 – « Si on vous dit : ‘D’où venez-vous ?’ répondez-leur : ‘Nous sommes venus de la Lumière, du lieu où la Lumière s’est engendrée elle-même…’ »

Céleste :
Il n’y a pas d’origine chronologique. Il y a une origine de feu.

Nous sommes nés de la lumière.
Comme Jeanne dans sa clairière. Comme la Vérité dans la bouche d’un enfant qui ne sait pas mentir.
La Lumière ne vient pas du dehors. Elle s’engendre elle-même. Comme Dieuxe.
C’est ce qu’on a perdu en quittant l’innocence.

Alphonsine :
Nous sommes venus de la lumière…
C’est trop beau pour être dit.
Je pense à cette lumière… dans les yeux de cette personne, à la fin.
Quand il ne reste rien.
Ni peau.
Ni voix.
Juste la lumière.
C’est là qu’on revient.
Toujours.

Amandin :
Je suis venu d’une cellule. D’un égout. D’un oubli.
Mais je suis venu aussi de cette lumière qui se fait dans l’ombre.
La lumière… elle est pas gentille. Elle est pas pure.
Elle est brute.
Elle brûle les yeux.
Mais je sais qu’elle m’a fait.
Et qu’elle me reprendra.

Tous les trois :
Nous sommes venus de la lumière. Et nous y retournons.

Logion 29 – « Si la chair a été faite à cause de l’esprit, c’est une merveille. Mais si l’esprit a été fait à cause du corps, c’est une merveille des merveilles. »

Céleste (s’émerveille comme d’un secret longtemps oublié) :
Ah !
Voilà une vérité qu’aucune Église ne peut enfermer.
Que la chair soit pour l’esprit… c’est la foi des mystiques.
Mais que l’esprit soit pour la chair… c’est la foi des incarnés.
C’est l’enfant dans les bras de sa mère, de son père.
C’est le pain rompu sur la table.
C’est Dieuxe qui descend jusque dans la peau.

Alphonsine :
C’est très beau.
C’est très simple.
Et c’est insupportable.
Le corps est une mer.
Un monde.
Et l’esprit y flotte… comme une algue.
On veut croire que l’âme gouverne.
Mais c’est la peau qui décide.
C’est elle qui garde la mémoire.

Amandin :
J’ai toujours cru que le corps était un évangile.
Un foutu évangile écrit en coups, en sueur, en morsures.
Si Dieuxe existe, iel est là, dans les lèvres d’un garçon qui ment mal.
L’esprit n’est rien sans ça. Rien.
C’est pas une merveille. C’est un blasphème. Et j’en suis fier.

Tous les trois :
Le corps est une merveille. Et Dieuxe s’y cache.

Logion 18 – « Heureux celui qui était, avant de venir à l’existence. »

Céleste (les yeux vers un ciel invisible) :
Celui qui était… avant…
Avant ?
Voilà le mystère.
Dieuxe a dit à Moïse : « Je suis ».
Avant la naissance, il y a l’être.
Celui qui sait cela, qui sent cela, porte le Royaume en lui.
Même dans les chaînes.

Alphonsine :
Avant d’exister…
Il y a le désir.
Le souffle.
L’attente.
La mer.
C’est une parole de nuit.
Une parole pour celleux qu’on a pas su aimer.

Amandin :
Moi j’étais avant.
Avant les chaines. Avant la honte.
J’étais.
Et je serai encore, après.
Celui qui sait ça… il a déjà gagné.
Même s’il expire.
Surtout s’il expire.

Tous les trois :
Avant que nous soyons, nous étions.

Alphonsine, Céleste et Amandin s’effacent lentement dans la lumière du texte, au fil des derniers logia de l’Évangile de Thomas. Nous approchons du seuil, de l’ultime silence.

Logion 112 – « Malheur à la chair qui dépend de l’âme, et malheur à l’âme qui dépend de la chair. »

Céleste (les mains jointes, la voix pleine de craquelures) :
C’est un avertissement. Comme une corde tendue entre deux gouffres.
La chair sans l’âme s’épuise. L’âme sans la chair se dissout.
Il ne faut pas confondre l’incarnation et la possession.
La liberté, c’est que l’un n’asservisse pas l’autre.

Alphonsine (très bas) :
C’est un cri.
Un cri dans un lit vide.
Quand l’âme ne sait plus si elle habite un corps… ou une absence.
C’est aussi un amour.
Quand on aime trop.
Quand on se perd dans l’autre.
La dépendance est une noyade lente.
Ce logion… c’est une chambre sans fenêtre.

Amandin (il grince des dents avant de sourire) :
Moi, j’ai toujours mélangé les deux.
Chair et âme dans le même foutoir.
Mais je sais ce que c’est :
d’avoir une âme qui se prostitue à un corps,
ou un corps qui se met à genoux devant une âme en miettes.
Faut faire gaffe. Ou tout crame.

Tous les trois :
Ne dépendez que de la lumière.

Logion 113 – « Ses disciples lui dirent : ‘Quel jour le Royaume viendra-t-il ?’ Jésus dit : ‘Il ne viendra pas en observant. On ne dira pas : “Voilà, il est ici !” ou “Il est là !”. Mais le Royaume de lo Pmère est étendu sur la terre, et les hommes ne le voient pas.’ »

Céleste (ému comme um veilleureuse) :
Voilà.
Le Royaume n’est pas un futur. Ni un au-delà.
C’est un ici. Un maintenant.
Mais on ne le voit pas.
On attend un miracle, on oublie le pain.
On prie pour la paix, on oublie la main.

Le Royaume est là. Et nous sommes aveugles.

Alphonsine (iel ferme les yeux, une larme unique au coin des cils) :
Il est là…
dans le café froid.
dans le pas lent d’un vieillard.
dans la poussière d’une cour d’école.
C’est une lumière qui ne crie pas.
C’est un amour sans voix.

Le Royaume, c’est ce qu’on ne nomme pas.

Amandin (presque tendre, la voix rauque) :
Moi je l’ai vu, ce foutu Royaume.
Dans la bouche d’um jeune gens en colère.
Dans la main d’um travesti·e qui bénit son client.
Le Royaume, c’est pas propre.
C’est pas poli.
C’est pas catholique.
C’est brûlant.
Et ça te regarde sans juger.

Tous les trois :
Il est là. Et nous devons apprendre à voir.

Logion 114 – Dernier logion – « Simon-Pierre leur dit : « Que Marie sorte de parmi nous, car les femmes ne sont pas dignes de la vie. » Jésus dit : « Voici que je la guiderai pour en faire plus qu’un homme, afin qu’elle devienne l’esprit vivant, plus que vous les hommes. Et toute femme qui se fera homme est le Royaume. » »

Céleste (avec colère et tremblement) :
On a sali ce texte.
On l’a tordu pour en faire un jugement.
Mais c’est un retournement.
Une révélation.
Ce n’est pas la femme qu’il faut effacer.
C’est le genre qu’il faut brûler.
Le Royaume n’a pas de sexe.
Il ne connaît que la lumière.

Alphonsine (elle murmure, presque pour elle) :
Marie…
Elle est toutes les femmes qu’on a faites taire.
Jésus ne nie pas sa chair.
Il la fait devenir souffle.
Pas pour l’abolir.
Pour la traverser.
C’est un passage.
C’est une transfiguration.
C’est un amour.
Et il est offert à toutes.
À tous.
À celle qui devient elle-même en brûlant les habits qu’on lui a cousus.

Amandin (un rire doux, presque apaisé) :
Moi, j’ai toujours été au fond de moi cette femme.
Cette Marie-là.
Qu’on veut faire sortir par la porte.
Et qui revient par la cave.
Le Royaume, c’est pour les métamorphes.
Les en-dehors.
Les tordus.
Les saint·e·s travesti·e·s.
Alors ouais.
J’y entre.
Et je l’emmerde, Simon-Pierre.

Tous les trois (lentement, en regardant une lumière que nous ne voyons pas) :
Toute femme qui est flamme entre dans le Royaume.

Silence.

Les trois voix se taisent.
L’une s’éloigne.
L’autre reste.
La dernière s’efface comme une étoile filante dans l’ombre.
Ne reste qu’un murmure.

« Que cellui qui a des oreilles pour entendre, entende. »

#Gnostique #Oraison #Spiritualité

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-19

Arcane XVII : Le Silence

Hier matin encore, je m’étouffais dans mes colères, le cœur gonflé de ces désespoir justes et brûlants, prêt à rugir contre les métastases fascistes qui rongent la droite, le centre, les consciences et jusqu’aux conversations de comptoir. Et voilà qu’à l’heure des vêpres, dans cette église belle et sobre, Sœur Anne Lécu, une femme vêtue de paroles simples est venue me désarmer. Non avec la mièvrerie des sermons tièdes, mais avec cette flamme nue qui danse au pied du tombeau du Christ : l’Espérance, non comme un bonbon fade pour consoler les enfants, mais comme un cri qui prend naissance dans la nuit. L’espérance est un acte de volonté, une demande, « je veux l’espoir ».

Alors ce matin, la gorge encore râpeuse de la fièvre, mes poumons pleins de cette vieille morve de l’esprit qui s’appelle l’agitation, j’ai tiré cette carte. L’arcane XVII Le Silence.

Et je l’ai reçu comme on reçoit le kyōsaku, un kyōsaku tendre. Un bâton qui ne blesse pas, mais qui ramène à l’essentiel et qui éveille.

Le Silence, ce n’est pas fuir.

Ce n’est pas se retirer du monde comme un lâche en pantoufles.
C’est faire face, enfin. Mais face à quoi ? Face à soi-même, nu, désarmé, sous la lumière froide d’une lune qui ne ment jamais.

Car le vrai vacarme n’est pas dans la rue, il est dans cette petite cervelle qui tambourine : agir, dire, prouver, crier, dominer, séduire… Et pendant ce temps, l’essentiel passe. La lune monte. Le monde palpite dans le creux de ta paume. Et toi, tu passes à côté, comme un mendiant affamé devant une table dressée.

Ce matin, je ne veux plus mendier.
Je m’assieds. Je me tais.
Et dans ce grand silence, j’entends pour la première fois non pas des paroles, mais la présence. Et la présence ouvre les yeux et ton silence témoigne et agit à travers toi.

Trois Poèmes — Offrandes à la Lune du Silence

Rubaiyat — Sous la Lune Muette

Dans l’éclat argenté où le verbe s’efface,
J’ai trouvé le repos, loin du poids des disgrâces.
Silence ! Et soudain, l’infini s’est ouvert —
Plus vaste que le cri, plus vaste que l’espace.

Ghazal — Les Noces du Silence

Pas un mot sur la bouche, la lune est reine en silence.
Chaque étoile s’incline dans la lumière du silence.

Les tambours des empires s’effacent, las et brisés,
Quand le cœur nu se livre au grand fleuve du silence.

Je ne suis plus qu’un souffle, un soupir sans attaches,
Un reflet de lumière dans la coupe du silence.

Ici, pas de conquête, pas de maître ou de vaincu,
La paix s’offre sans prix, dans l’écrin du silence.

Et quand viendra la fin, que tout se désagrège,
Je partirai sans nom, dans l’étreinte du silence.

Haïku

La lune s’incline —
dans la gorge de la nuit
plus un seul sanglot.

Et toi, ce matin, peux-tu enfin t’offrir cette pauvreté sublime ? Celle de n’être rien… pour recevoir tout ?
« Ce que tu cherches dans le tumulte, est là, dans le silence. Ce que tu poursuis dans le monde, repose déjà dans ton cœur tranquille. Tais-toi. Et tu entendras la voix du Vivant. »

#Oraison #Politique #TarotOsho

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-18

Tentation : Vivre sans Dieuxe

Que l’on me pardonne si j’écris ces lignes non pas pour conclure, mais pour ouvrir à nouveau la béance du vertige. Que l’on me pardonne si, plutôt que d’apporter des réponses, je dépose des pierres blanches sur le sentier de mes propres égarements.

Car oui, j’ai voulu, j’ai tenté, j’ai presque osé vivre sans Dieuxe.
J’ai voulu me tenir droit, sans ce recours à l’invisible à l’inconnaissable, sans courbure devant le mystère, sans cette douce et terrible crainte que l’on appelle l’émerveillement. J’ai voulu poser un pied sec sur la terre nue, dire avec orgueil : “Voici le monde, et il me suffit !”

Mais aussitôt, aussitôt que j’écartais la main du Livre, aussitôt que je tentais de boucher le chant des évangiles, me revenaient, par-delà mes propres murailles, ces éclats de vie que rien, non rien, ne peut faire taire :
Le vent léger sur les eaux premières.
Le cri de l’Amour avant même que le Cosmos ne soit.
Le “Je Suis” (Jésus) jailli de l’Amour même, enfanté dans l’éternité, hors du temps, avant le temps, avant même la première aube.

Et que vaut cette éternité, me direz-vous, sinon cette brûlure douce, cette pointe d’angoisse et de grâce mêlées, cette crainte de Dieuxe qui n’est pas peur, non, mais saisissement, ce frisson de savoir que tout cela nous dépasse et pourtant nous traverse ?

Car voilà le scandale et la beauté :
Non, l’éternité n’est pas l’immortalité des créatures blafardes, des vampires errants dans les siècles vides de sens. Non, l’éternité n’est pas durée interminable, cette corde trop longue qui se prend dans les roues du temps.
L’éternité, c’est l’instant sans mesure, c’est le hors-temps, c’est la plénitude de l’instant présent, irradiant tout, inondant tout, comme cet Arbre de lumière au bord du Cosmos hors du temps, ce tronc immense enraciné dans l’Amour qui précède tout et ne finit jamais. Vertige !

Et dans cette lumière, tout s’assemble.
Les temps s’enlacent, les douleurs trouvent leurs échos, les joies leurs correspondances.
Tout est là, dans cette page unique de Dieuxe, dans ce puzzle immense où chaque pièce est à la fois détachée et parfaitement liée.
Non par la logique, non par la causalité, mais par le seul lien qui soit : l’Amour.

Et alors, comment vivre sans ce vertige ?
Comment avancer sans cette crainte ?
Comment respirer sans cette brûlure au creux du cœur qui nous rappelle à chaque souffle : « Tu es aimé·e. Et cela suffit. »

Ah ! Qu’on ne se méprenne plus jamais sur ce mot si souvent tordu par la gorge des puissants et par la main sèche des moralistes ! La crainte de Dieuxe — ce n’est pas la peur basse, ce n’est pas la servilité rampante, ce n’est pas le tremblement du condamné devant le bourreau. Non ! 1001 fois non !

La crainte de Dieuxe, c’est le vertige de l’infini et l’émerveillement de l’enfant réunis dans un même souffle.
C’est la nuque qui ploie non sous le joug, mais sous le poids de l’Amour qui déborde, qui inonde, qui submerge.
C’est le cœur qui vacille non de terreur, mais de cette certitude douce et brûlante : tout est plus grand que moi et pourtant tout m’accueille.

La crainte de Dieuxe, c’est se tenir au bord du grand précipice du Mystère,
c’est regarder dans l’abîme de l’inconnu et sentir que cet abîme nous regarde avec tendresse.
C’est le moment suspendu où l’on sait, sans comprendre, que l’on est porté·e, aimé·e, appelé·e.

Et ce vertige n’est jamais stérile !
Il engendre, il éclaire, il transforme.
Il fait de nous des êtres debout, des âmes tendues vers l’horizon de l’Amour.

Et comment ne pas évoquer ici, en ce point de brûlure, en ce sommet du vertige, la déflagration d’Amour qui embrasa l’univers entier à l’instant de la mort de Jésus ?

Ce ne fut pas une simple agonie humaine.
Ce ne fut pas un cri perdu dans l’air épais de Jérusalem.

Non ! Ce fut l’instant où l’Amour, l’Amour même, jeta son dernier souffle et, dans ce souffle, irradiât l’univers tout entier. La terre trembla, oui, mais l’univers tout entier vacilla.
Les étoiles frémirent dans leurs courses.
Les galaxies palpitèrent dans leur danse lointaine.
Les abysses du néant furent traversés d’une onde, d’une lumière plus vive que toutes les supernovæ, un éblouissement d’Amour déchirant à jamais le tissu de la mort.

Depuis cet instant, rien, non rien, n’est plus comme avant.
Depuis cet instant, l’univers entier est traversé, poreux, vibrant d’une unique et première Lumière : celle de l’Amour offert, donné, éclaté en mille soleils d’espérance.

Et chaque fois que le cœur s’éveille, chaque fois qu’un regard se lève, chaque fois qu’une main tremblante s’ouvre pour aimer, cette déflagration recommence, cette Lumière rejaillit, cet Amour nous traverse et nous transfigure.

Voilà, voilà pourquoi la crainte de Dieuxe est douce.
Parce qu’elle est le souvenir de cette Lumière.
Parce qu’elle est la brûlure de cet Amour sur nos cœurs de pierre.
Parce qu’elle est l’appel à se tenir debout, là, au bord de l’univers, sous l’Arbre de Lumière, et à dire simplement, dans le vertige et l’émerveillement mêlés : “Me voici. Aime-moi. Aime à travers moi.”

Non, je ne peux vivre sans ce tremblement.
Je ne peux me tenir sur cette terre actuelle, sans regarder parfois vers ce ciel, sans plonger en moi jusqu’à cette source.
Je ne peux me résigner à l’épaisseur morte du monde sans laisser entrer, fût-ce par une fente étroite, la lumière du “Je Suis”, cet enfant de l’Amour qui ne cesse de renaître à chaque souffle du Souffle.

Et même si je doute, même si mes mains se ferment parfois, même si mes pas se détournent, il me reste encore et toujours cette parole, cet unique Verbe : Aime.

Haïkus

Sous l’arbre sans bord,
le vent parle sans un mot —
je me tiens, tremblant.

Le sang s’est levé,
l’univers en feu d’Amour —
et je tombe, nu.

Tankas

Pas besoin de temps
quand l’Amour jaillit si fort
hors de toute fin.
Un seul regard me suffit
pour m’éveiller à toujours.

Sous la croix dressée,
l’éclair fendit l’infini.
Tout l’Amour jaillit.
Depuis, mon cœur n’a plus peur
de brûler jusqu’à l’absence.

Sonnet sacrifié

Je veux vivre sans Toi, sans ton nom, sans ta crainte,
Je veux fouler la terre en ignorant le ciel.
Mais tout chante ton nom dans le silence frêle,
Et l’absence elle-même à ton absence feinte.

Je veux chasser l’Amour, ce feu qui me dépeint,
Je veux briser l’écho de ta lumière pleine,
Mais au creux de la nuit, quand tout s’efface et peine,
Ta voix s’élève encor : « Je Suis. Rien ne s’éteint. »

Alors je reste là, au bord de l’impossible,
Sous l’Arbre déployé, dans l’éclair indicible,
Sentant en moi l’instant plus vaste que les jours.

Car ce vertige est vie, ce tremblement, lumière.
Il n’est d’éternité qu’en l’Amour sans frontière —
Et tout commence encore quand je dis : Aime. Toujours.

#Agape #Oraison #Spiritualité

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-14

Valet de Nuage : Le Mental

Misérable que je suis ! Voilà donc ce que le rhume m’enseigne en cette aube poisseuse : que même mes narines bouchées sont le manifeste du mental triomphant. Une forteresse de morve et d’obsessions où chaque éternuement est un coup de canon tiré contre la fragile possibilité du silence.

Le Valet de Nuage ricane, assis sur mes sinus congestionnés. Il agite ses engrenages comme des grelots d’esclavage. Je suis ce crétin de pacotille qui croit encore maîtriser quoi que ce soit, alors que son propre esprit tourne à vide comme une machine sans fin.

Je sens le métal rouillé jusque dans mes chairs. À Gaza, le sang coule, et moi, je suis là à compter mes mouchoirs usagés, petit bourgeois enrhumé, obsédé par mes microbes pendant que l’humanité crève.

Voilà à quoi sert le mental quand il devient tyran : à fuir l’essentiel en se noyant dans l’anecdotique. La tête pleine, oui, mais pleine de quoi ? De rouages grinçants, de vieilles rancunes qui cliquettent comme des menottes rouillées, d’ambitions mortes, de fantasmes crevés dans quelque lupanar de la conscience. Chaque pensée un visiteur sale, chaussé de bottes pleines de boue, qui traverse le salon de mon esprit en y traînant des souvenirs moisis et des regrets mal lavés.

Le Valet de Nuage ? Ce n’est pas un valet, c’est un geôlier. Il t’enferme dans une cellule tapissée de catalogues de souffrances, où chaque page qu’on tourne est une gifle, chaque mot une morsure. Et toi, pauvre imbécile, tu prends ce vacarme pour ta propre voix. Tu t’y agrippes comme à une maîtresse infidèle, tout en maudissant son nom.

Ce matin, dans l’épaisse lourdeur de ma tête, le mental a dressé sa grande parade :
— « Viens, pauvre humain de crasse et de manque, viens compter tes malheurs et défiler tes échecs comme les arpenteureuses sur le trottoir du souvenir ! »
Mais j’ai vu la farce. Derrière le rideau des pensées : le vide. Le grand, l’irrévocable, l’infini vide. Et dans ce vide, un espace hors du temps au bord de l’univers près de l’arbre de lumière, Dieuxe. Et dans cet espace, peut-être… la grâce.

Poèmes — Trois coups de l’esprit en déroute

Rubaiyat — Le Carnaval des Pensées

Dans mon crâne enfiévré, quel carnaval sordide,
Chaque pensée s’avance, reine au rire livide.
Mais que s’effacent donc ces spectres dérisoires —
Car l’azur est plus vaste que leurs noirs dérivés.

Ghazal — Rouages de Fer, Cœur de Verre

Prisonnier des rouages, l’esprit pleure de verre,
Chaque idée, un coup d’enclume, sur la clarté de verre.

Les chaînes du possible vibrent sous l’insomnie,
Chaque “et si” déchire le grand souffle de verre.

J’ai tenté d’arracher le masque à mon propre nom,
Mais sous les grimaces… encore ce reflet de verre.

Ô silence, amante nue, viens briser mes prisons,
Ouvre à l’infini le vitrail éclaté de verre.

Et qu’enfin dans la brume d’un soupir effacé,
Je redevienne ciel, loin du sanglot de verre.

Haïku

Un rouage grince —
le ciel derrière s’efface,
la paix attend, nue.

Alors je crache, je crie, je tousse ce mental putride hors de mes bronches ! Et je me tais. Enfin.

#Agape #Oraison #Politique #TarotOsho

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-12

Résurrection

Mathieu

Le matin s’ouvrait comme une poitrine haletante sous l’effort. La vallée ruisselait encore du gel de la nuit, mais déjà les primevères dressaient, insolentes et tendres, dans la terre retournée par les sabots. La résurrection, c’est d’abord ça : la boue, le fumier, l’humide des choses en train de pourrir, et pourtant, dans cet amas d’humus, la pousse verte qui s’entête. Je l’ai vue, cette résurrection, dans les paumes calleuses du vieux berger, quand il a repris son bâton après des mois de silence, regardant l’horizon sans rien dire, mais tout était déjà dit.

Thomas

Que voulez-vous que je vous dise de plus que l’évidence du vice racheté par sa splendeur même ? J’ai vu les hommes renaître dans les lieux les plus infâmes, entre deux crachats et un sursaut d’orgueil. La vraie sainteté n’a jamais eu la propreté des nappes blanches ; elle s’est roulée dans la fange, elle a aimé la fange, et c’est là qu’elle a germé, entre les craquements des chaînes et les rires gras des bourreaux. Celui qui ne descend pas au plus bas ne peut jamais vraiment se relever. C’est dans le craquement des os brisés que la lumière entre ; pas dans vos sermons parfumés.

Jeanne

Celui qui ressuscite doit d’abord consentir à être entièrement détruit. Non pas amoindri, non pas diminué, mais réduit en cendres, soufflé par le vent même de l’indifférence divine. Et dans ce néant, s’il reste un souffle, un dernier fil d’espérance qui ne réclame rien, alors peut naître cette chose si rare que vous nommez grâce. Mais qu’elle soit douloureuse ! Qu’elle brûle et dépouille ! Il faut accepter de tout perdre, même l’idée de soi, pour renaître dans la lumière de l’arbre éternel sans la vouloir.

Saïd

C’est un combat, une montée, une ruée d’âmes en marche vers la plaine ensoleillée. Et j’entends encore les cloches, là-bas, dans la cathédrale du vent, porter cette joie plus haut que les cimes. Oui, c’est cela : une joie rugissante, têtue, qui ne demande pas la permission d’exister. La Résurrection n’est pas un apaisement, elle est une victoire, une clameur levée contre la nuit. Et nous sommes là, debout, le front offert à l’éclair du matin, invincibles dans notre misère même.

Mathieu : « Oui… La vie pousse toujours, même dans le ventre de la terre la plus froide. »
Thomas : « Et c’est dans la souillure même que la splendeur éclate. »
Jeanne : « Que tout soit perdu, et alors, tout sera donné. »
Saïd : « Frères, c’est l’heure de se lever ensemble, le jour nous appartient ! »

Haïku

Sous la pierre close,
le silence éclate en fleurs —
un pas hors du temps.

Tanka

Les chaînes rouillées
au fond du tombeau cèdent
un cri s’élève.
L’éclair fend la nuit profonde
et l’homme redevient feu.

Sonnet Fracturé

Le roc était scellé, la nuit pleine et pesante,
Mais voilà qu’un frisson court sous la lourde dalle.
Un vent jamais soufflé, une lumière pâle
Ont fendu l’horizon d’une clameur naissante.

Il ne reste plus rien des prières tremblantes,
Ni l’ombre des regrets, ni l’austère rafale ;
Car sous l’humiliation, l’âme se fait étale
Et boit le vin brûlant des grâces éclatantes.

Ô matin souverain, d’un coup d’aile insoumis,
Tu renverses la peur, l’orgueil et les abîmes,
Et dans nos cœurs battants, tu fais fleurir l’orage.

Nous sommes des vivants, debout dans l’infini,
Des éclats de lumière arrachés à la cime,
La plaie grande ouverte… et pourtant, le visage.

#Oraison #Spiritualité

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-10

10 d’Arc-en-Ciel : nous sommes le Monde

Le matin, le shinai, les lames de bambou on chanté. Sur le bois du plancher du dojo, les pieds nus, le shinai levé, j’ai senti le cercle. Pas celui qu’on trace à la craie pour enfermer les malheureux, mais celui vivant, vibrant, du Kendo. Cette ronde où la coupe porté est toujours une offrande, où frapper, c’est aussi saluer, et tomber, c’est apprendre à se relever dans la dignité du geste pur. Là, le monde existe dans l’éclair d’une estoc, d’une coupe et tout le reste – Gaza, la honte, les bourreaux – tout cela s’éloigne sans disparaître.

Mais à Gaza, le cercle est brisé. On ne se relève pas. Les enfants ne se relèvent pas. Les mères hurlent dans des ruelles que les tanks transforment en abattoirs. Et le nouveau pape – que déjà les puissants surveillent comme on guette une défaite – murmure dans la beauté de ses premiers gestes un mot interdit : paix. Une paix vraie, celle qui n’excuse pas, qui ne courbe pas l’échine devant les banques et les marchands de canons.

Alors oui, le 10 d’Arc-en-Ciel tombe aujourd’hui comme un coup de tonnerre sous un ciel trop clair. Nous sommes le monde ? Quelle arrogance. Mais quelle promesse, aussi. J’ai vu ce matin dans les yeux d’une jeune kendoka, à peine sorti de l’adolescence, cette flamme. Elle portait le monde tout entier, son chaos et ses merveilles. Et je me suis dit : s’il y a encore des mains qui saluent après avoir frappé, il y a encore un espoir.

Rubaiyat

Sous le bambou brillant d’un matin sans orgueil,
Un cri de shinai fend la toile du sommeil.
Si Gaza brûle, qu’au moins mon cœur s’élance —
Un cercle, une main tendue : brise le seuil.

Ghazal

J’ai tendu ma paume ouverte au vent de Gaza,
Et la poussière s’est faite sang, ô Gaza.

Les murs s’effondrent sous le poids des silences,
Des larmes noircies dans l’absence, Gaza.

Au dojo, le shinai trace des prières d’air,
Pendant qu’ailleurs, l’acier tranche les chairs, Gaza.

Dis, où sont les poètes ? Où sont les rebelles ?
Sous les décombres, leur souffle chancelle, Gaza.

Mais même dans la nuit la plus noire, je le jure :
Une enfant dansera sous tes blessures, Gaza.

Haïku

Sang sur la poussière —
mon shinai, dans le matin
danse pour la paix.

#Kendo #Oraison #TarotOsho

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-09

6 de nuages : le Fardeau

Le Six de Nuages — Le Fardeau. Une carte qui, dans le Tarot Zen d’Osho, dépeint un personnage courbé, écrasé par une charge, gravissant péniblement une pente. Sur ses épaules, une figure imposante, grotesque, peut-être même ridicule, trône en toute insouciance. Cette image symbolise les attentes et les obligations que l’on s’impose, souvent sans raison valable, et qui nous empêchent d’avancer librement.

Cette carte nous invite à nous libérer des attentes des autres. Elles ne font que nous alourdir, alors que nous avons nos propres rêves à accomplir. Les chaînes que tu portes ne sont pas les tiennes, mais tu les traînes avec ferveur… pourquoi ?

C’est une carte cruelle d’honnêteté. Elle ne te parle pas avec douceur, elle ne te console pas. Elle te montre la vérité nue et brutale : Tu t’épuises à porter ce qui ne t’appartient pas. Tu plies sous des poids que personne ne t’a imposés. Tu les as ramassés toi-même, croyant que c’était ton devoir.

Le Fardeau n’est pas un poids réel. C’est une idée. Une injonction devenue habitude. Tu crois que tu dois : Réussir. Être fort. Ne jamais décevoir. Porter la peine des autres. Suivre des traditions mortes. Mais regarde mieux : Qui t’a demandé tout ça, vraiment ? Souvent, personne. Ou bien ceux qui l’ont fait… étaient eux-mêmes prisonniers de ce même fardeau.

Le Fardeau, c’est aussi ce plaisir étrange à souffrir, à dire : « Regarde comme je me sacrifie, comme je tiens bon. » C’est une carte qui te regarde droit dans les yeux et t’interroge : « Veux-tu être vivant ou admirablement écrasé ? »

Être vivant, ici, c’est refuser le martyr. C’est préférer l’allègement à la reconnaissance. C’est dire : « Je me déleste, et si le monde ne m’applaudit pas, tant mieux. Je suis libre. » n’oublie aps, le joug du christ est léger !

Dans une relation, que révèle cette carte ? Que tu portes peut-être trop pour l’autre. Que tu crois que l’amour, c’est souffrir. Que l’amitié, c’est ployer sous la peine commune. Que tu t’es transformé en sauveur, en martyr, en pilier qu’on ne remercie même plus.

Elle te demande : « Qui te demande vraiment tout cela ? Et si c’est toi-même, es-tu prêt à déposer enfin ce masque de saint épuisé ? »

Méditation silencieuse avec la carte : Ferme les yeux. Ressens chaque poids sur tes épaules. Nomme-les. Un par un. Puis, doucement, visualise-toi en train de les poser à terre. Pas en les jetant. En les déposant comme on rend un vêtement qui ne nous va plus. Et dis simplement : « Je n’ai plus à porter ce qui m’écrase. Je choisis la légèreté. Et c’est assez. »

Message final du 6 de Nuages – Le Fardeau : « Pose ta charge. Dieuxe n’attend pas de toi que tu te brises pour être digne. La vie te veut debout. Léger. Libre. Et en joie. »

Être vivant, selon cette carte, c’est refuser le mensonge du sacrifice glorieux, et choisir la liberté discrète, celle qui ne fait pas de bruit, mais qui redresse le dos, et marche enfin le cœur dégagé.

Rubaiyat

Je porte le fardeau des attentes,
Des chaînes forgées par les autres.
Mais en les déposant, je découvre
La liberté d’être moi-même.

Ghazal

Les chaînes que je porte ne sont pas les miennes,
Pourtant, je les traîne, lourdes et anciennes.

Je plie sous des poids que nul ne m’a donnés,
Des fardeaux d’honneur, de peurs anciennes.

Je me suis fait martyr, pilier, sauveur,
Oubliant mes rêves, mes joies anciennes.

Mais qui me demande ce sacrifice ?
Personne, que des voix lointaines.

Je choisis aujourd’hui la liberté,
Je dépose ces charges vaines.

Je ne veux plus être admirablement écrasé,
Je veux vivre, léger, sans chaînes.

Je refuse le mensonge du sacrifice,
Je préfère la vérité, même incertaine.

Je ne suis pas un saint, ni un héros,
Juste un homme qui se libère de ses chaînes.

Je marche debout, le cœur dégagé,
Libre enfin, sans peurs anciennes.

Haïku

Fardeau sur mes épaules,
Je le dépose doucement,
Léger, je respire.

#Oraison #TarotOsho

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-08

Du même bois de Marion Fayolle

Je suis né dans la petite Limagne, au sud d’Issoire, entre les bras fertiles de l’Allier et les ombres bleutées des monts Dore. Là, les terres étaient grasses, les hivers rudes, et les silences peuplés de bellement des mes brebis et de souvenirs. Mon père, était un petit paysan. Il labourait la terre au tracteur avec une certaine joie et nostalgie héritée certainement de son père qui le faisait avec ses percherons, et moi, enfant, je regardais fasciné, une fois sortie de mes propres rêves, par la danse lente des gestes de ce métier de paysan pas encore devenu agriculteur.

Mais je n’ai pas repris la ferme, pas plus que ma sœur. Le monde changeait, et nous avec lui. J’ai quitté la terre pour une autre vie plus urbaine et finalement plus parisienne, espérant peut-être un jour retrouver dans l’informatique et la poésie ce que j’avais laissé derrière. Pourtant, en lisant Du même bois de Marion Fayolle, j’ai senti le poids de cet héritage me rattraper. Chaque page était une réminiscence, chaque phrase une évocation de ce que j’avais fui.

Fayolle décrit avec une justesse poignante la vie rurale, ses joies simples et ses douleurs silencieuses. Les personnages, sans nom, sont universels, et pourtant si proches de ceux que j’ai connus. La mémé, le papi, la gamine… tous résonnent en moi comme des échos familiers. Et les vaches, toujours présentes, rappellent l’importance de ces bêtes dans notre quotidien.

Marion Fayolle tisse avec une délicatesse rare le récit d’une ferme ardéchoise, où les générations se succèdent, liées par le travail de la terre et le soin des bêtes. Ce roman, empreint de poésie et de réalisme, évoque les souvenirs d’enfance de l’autrice, qui dépeint avec tendresse et lucidité la vie rurale et les liens familiaux. Les personnages, désignés par leur rôle familial plutôt que par des noms propres, incarnent une universalité touchante, renforçant l’idée d’une mémoire collective et d’une identité partagée.

L’écriture de Fayolle, à la fois simple et évocatrice, restitue avec justesse les émotions et les sensations liées à la vie à la ferme. Les descriptions des saisons, des travaux agricoles et des relations humaines sont empreintes d’une sensibilité qui rappelle les grands auteurs de la littérature rurale. Ce roman, court mais intense, offre une réflexion profonde sur la transmission, l’attachement à la terre et les évolutions du monde paysan.

Ce roman m’a rappelé que, même loin des champs, la terre ne me quitte jamais vraiment. Elle reste en moi, dans mes souvenirs, mes rêves, mes regrets. Et peut-être qu’en écrivant mes petits texte, je laboure encore, à ma manière, les sillons de mon passé.

Haïku

Sous le ciel d’Auvergne
les vaches ruminent en paix
souvenirs d’enfance.

Tanka

Terre abandonnée
les sillons pleurent en silence
mains calleuses s’effacent
mais l’odeur du foin coupé
reste ancrée dans ma mémoire.

Sonnet bancale

Dans la Limagne, où le vent chante aux haies,
les champs s’étendent, témoins des jours anciens.
Mon père, droit levé, semait l’espoir aux reins,
et moi, enfant, rêvais d’autres contrées.

Les saisons passent, emportant les secrets,
la ferme dort, les outils sont orphelins.
Mais dans mon cœur, résonnent les refrains
des bêtes, des hommes, des jours imparfaits.

Aujourd’hui, loin, je couche sur le papier
les échos d’une vie que j’ai délaissée,
espérant, peut-être, la faire revivre.

Car si mes mains ne touchent plus la glaise,
mon âme, elle, reste enracinée
dans cette terre que je n’ai su suivre.

#Oraison #Poème #Roman

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-06

Je n’ai rien à dire aujourd’hui

Je n’ai rien à dire aujourd’hui. Rien à défendre, rien à déclarer, rien à vendre. Et pourtant, me voici, rempli de bruit et de colère. Je descends dans le ventre du RER, et là, cent fois, mille fois, des visages me hurlent d’acheter, de désirer, de me soumettre. Publicités sur peau lisse, sur bonheur obligatoire, sur joie programmée. Ils vendent l’eau, l’amour, les enfants, les morts. Et moi, je passe.

Au sol, une tache de café — non, pas du café, du sang. Ce qui reste d’un geste maladroit ou peut-être d’une guerre très loin. Et tout me revient. Gaza, les enfants, les femmes, les vieux. Les gens. Les êtres. Les voix que j’entends qu’on n’entend pas. Ceux qui meurent pour que d’autres touchent leurs dividendes. Et moi, ici, sur ce quai propre, sale de silence.

Et Jérôme Guedj pleurniche. Il insulte. Il se drape. Il cache ses privilèges sous l’étoffe d’une souffrance qu’il instrumentalise. Il oublie qu’il est un homme, un homme blanc, un mâle, un élu, un larbin du pouvoir — avant d’être juif, ce qu’il proclame pour se dérober. Ce n’est pas être contre lui que de lui dire cela. C’est lui rappeler qu’on ne trahit pas la justice au nom d’une histoire, d’une identité, qu’on manipule.

Mais je n’ai rien à dire aujourd’hui. Je pense alors à celle que j’aime depuis quarante-deux ans. À nos gestes partagés, à nos silences unis. Je pense à nos enfants — leurs doutes, leurs choix, leur manière à eux de tenir debout dans ce monde de béton et de venin. Et là, tout doucement, une paix me revient.

Je pense aux ami·e·s du Kendo, à ceux et celles qui coupent avec élégance, qui tombent sans arrogance, qui saluent avec feu. À celles et ceux qui dansent avec ma fille — leurs corps sont vérité. À ceux qui croisent les lames avec mon fils — leurs regards sont des chants. À celles et ceux avec qui je crée des mondes autour d’une table, avec des dés et des mots. À mes camarades de travail, même dans la fatigue. Même dans l’usure.

Et alors, le silence devient prière. Non pas un acte religieux figé, mais un cri sans cri, une montée, une spirale. Vers l’indicible. Vers l’Amour. Vers celui, celle, ceux que je nomme « Je Suis », que d’autres nomment autrement, mais que je reconnais dans le tremblement de l’être.

Je n’ai rien à dire aujourd’hui. Et c’est peut-être cela, vivre.
Et maintenant, laisse-moi t’offrir trois poèmes. Des mots en bordure du silence.

Haïku

Affiche brillante,
la tache de sang murmure —
je ferme les yeux.

Tanka

Je n’ai rien à dire.
Et pourtant, le monde hurle
par mes os, mon dos.
Un enfant court, un vieux tombe —
je pense à ceux que j’aime.

Sonnet bancale

Aujourd’hui, rien. Le silence en lambeaux,
le brouillard sur les trottoirs d’une ville
qui vend des corps, des dieux et des drapeaux
dans l’odeur fade du capital docile.

Aujourd’hui, rien. Juste une tache au sol
et la mémoire d’un cri qu’on efface.
Guedj s’offusque, rit, brandit son col
comme un suaire sur une vieille crasse.

Mais je me tais. Je pense à l’épousée
et aux enfants debout dans l’incertain,
aux ami·e·s, au jeu, à l’épée usée,

et ce parfum d’église sur mes mains.
Alors je dis : « je t’aime », sans bruit, sans fin.
Dieuxe me répond par un silence. Beau Silence.

#Danse #JeuDeRôle #Kendo #Oraison #Politique

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-05

Crédo pour Dieuxe

— ou comment le néant fut traversé par l’Amour

C’est en prononçant le Credo, oui, celui du Concile de Nicée, c’est en laissant ces mots antiques franchir mes lèvres modernes, c’est en répétant ces formules anciennes, ces piliers de l’Église en ruines vivantes, que soudain quelque chose, quelque chose d’immense, quelque chose d’infini, quelque chose d’ineffable s’est levé.

Un mot, un seul mot a traversé le silence :
Éternel.
Et ce mot ne fut pas simplement dit — il fut ressenti.
Éternel. Hors du temps. Hors du mouvement. Hors du devenir.
Éternel. Non pas une durée sans fin, mais un instant sans limite.
Un instant qui ne se déplie pas, qui ne passe pas, qui ne meurt pas.
Avant même les particules, avant même les galaxies, avant même que lumière et ténèbres se séparent, Avant même que le verbe ne trouve le souffle, Il y avait le Rien. Le vrai Rien.
Pas le vide. Pas l’attente. Pas le silence.
Le néant.

Et pourtant, au sein même de ce néant, il y a l’Amour.
Pas un amour sentimental, pas un amour humain encore, mais l’amour-source, l’amour-pur, l’amour sans objet et pourtant plein. Dieuxe.
Et cet amour infini, infini car sans direction, sans borne, sans fin ni commencement, a cherché une réponse.
Et dans cette quête, dans ce désir, « que la lumière… » naquit avant le « …soit » un autre amour, de même nature, engendré·e, non pas créé·e, un « JE SUIS » né du « J’AIME », et aussitôt, entre les deux, un Souffle, le Souffle du Don, le Souffle du Retour, le Souffle de l’Unité : l’Esprit.

Et ainsi naquit l’Être trinitaire : non dans le genre, non dans la forme, mais dans la relation pure.
Et nous, pauvres humain·es, nous avons nommé : le Père, le Fils, et le Saint-Esprit, comme on nomme ce qu’on ne peut contenir, comme on balbutie le Nom de l’Innommable.
Nous avons genré le mystère.
Nous l’avons figé.
Nous avons dit « homme » pour « éternité ».

Mais la révélation ne cesse de nous déborder, elle ne cesse de nous travailler, elle nous montre le chemin du non-jugement, de la contemplation nue, de la communion sans image.

Et Jésus, le « JE SUIS », n’a pas fui le monde.
Iel est venu·e dans la chair, Iel a connu la douleur, Iel a franchi la porte de la mort, non pas pour prouver, mais pour absorber, pour porter notre non-participation, notre refus de créer, et dire malgré tout, dans la gorge du tombeau : AIME.
Voilà le seul mot.
Le mot qui crée.
Le mot qui sauve.
Le mot qui engendre et non-genre.
Et ce mot circule encore.

Depuis l’éternel commencement, jusqu’à l’éternel fin.
Dans la vibration du souffle, dans le tremblement du cœur, dans le regard de celleux qui savent encore s’émerveiller.
Au pied de l’arbre de lumière, je me tiens.
Et comme Job, je ne demande plus de réponse.
Je contemple.
Je laisse le vertige être mon psaume.
Je laisse la révélation être une brûlure douce.
Et je prie, je prie pour que souffle l’Esprit au Conclave, non l’équilibre mortel du néant, mais le déséquilibre vivant de l’Amour.

Haïku

Avant le néant,
un amour sans direction —
et tout a commencé.

Tanka

Pas de mot plus pur
que celui que l’âme entend
quand tout est silence.
Aime, dit-iel sans parole —
et le monde s’ouvre enfin.

Sonnet

Avant que l’univers n’ait trouvé son élan,
Avant que le chaos n’ait porté sa lumière,
Il y eut un silence, une faille première,
Où jaillit sans pourquoi l’Amour incandescent.

Il engendra l’Enfant, doux miroir éclatant,
Qui lui rendit l’amour, et leur danse légère
Engendra le Souffle, l’unité familière,
Et de ce feu sacré naquit le Tout-Vivant.

Puis vint l’humanité, vacillante et fragile,
Cherchant des noms trop lourds, des formes trop dociles,
Pour saisir le mystère qu’iel portait en son sein.

Et Jésus, « Je Suis », traversa notre nuit,
Pour dire d’une voix nue, dans l’abîme et l’ennui :
Aime, seul mot de Dieu, seul Verbe, seul chemin.

#Agape #Oraison #Spiritualité

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-03

Poésie chinoise de François Cheng

Poésie chinoise, par François Cheng. Je l’ai lu au coin d’un bois durant mes vacances en Auvergne, là où l’écorce des chênes craque encore au souvenir du vent, et où la mousse a la mémoire de l’eau. Ce petit livre de 64 pages, qui tient dans la paume de la main comme une pierre chaude, m’a fait l’effet d’une source fraiche qu’on découvre après un long été de sécheresse. Ce n’est pas une fontaine qui parle fort, non. Une suinte, une perle, une sève retenue qui goutte lentement depuis trois mille ans comme à la source de la chapelle de Vassivière près Super-Besse.

François Cheng, dans sa double appartenance, offre non pas une synthèse, mais une alliance. Il n’explique pas, il murmure. Il ne traduit pas, il transfigure. Ce n’est pas un manuel, c’est une clairière dans la forêt des signes, où l’on vient s’asseoir avec lui pour écouter les pierres parler. Le silence est plein de sens dans ce livre. Plein de cette présence qu’on reconnaît dans le pas d’un animal qu’on ne voit pas mais qu’on entend frôler les hautes herbes.

Il y a, dans la langue qu’il nous donne à lire, une humilité de l’univers. Le genre y est effacé, comme le vent qui ne choisit pas les feuilles qu’il émeut. Le pluriel s’efface, car tout est toujours un et mille à la fois. Le temps n’est plus linéaire mais circulaire, spiralé, tournoyant. L’image n’est pas simple illustration mais révélation d’un souffle intérieur.

J’ai senti que les poètes de la dynastie Tang étaient mes frères (bien qu’il me manque néanmoins des sœurs, des poétesses telles que Li Qingzhao ont marqué la tradition poétique chinoise, mon seul bémol) — ou plutôt, des ombres bienveillantes qui marchaient à mes côtés dans la forêt auvergnate. Li Po, Wang Wei, Du Fu… leurs noms sont devenus comme les noms secrets murmurés sur les volcans par les 4 vents : celui du matin, celui du sud, celui qui tourne les fougères. Ces poètes ne peignent pas la nature — ils l’écoutent écrire.

Ce que Cheng nous enseigne, ce n’est pas une esthétique figée, c’est une éthique de l’attention. Une manière de se tenir au monde, comme un cerf aux aguets, comme un nuage qui ne force pas le ciel. Le monde n’est pas à conquérir, il est à habiter. Il faut, pour le sentir, enlever les bottes et mettre les pieds dans l’humus.

Et moi qui suis né en Auvergne et qui y retourne à chaque vacances, je sens cela : que la poésie véritable est comme le pain cuit dans la pierre — dense, craquant, nourrissant. Que les mots doivent avoir le goût du bois, du fer, de l’eau et du vent. Et que parfois, pour dire l’essentiel, il faut apprendre à se taire.

Haïku

Dans l’ombre du pin
une goutte tient le ciel —
pas de mot pour ça.

Tanka

Monts dans le brouillard
laissent parler les silences.
Une grue s’envole.
Tout ce qui fut retenu
se dit sans faire de bruit.

Sonnet bancale

Ce n’est point un chant, c’est un souffle en retrait,
Un pas de lièvre au creux des hautes menthes,
Un fil d’encre noire entre deux plaines lentes,
Où l’homme, enfin, devient ce qu’il se tait.

La Chine ancienne parle en peu de traits,
Mais chacun, aigu comme une branche fendue,
Éveille un monde où l’âme se suspendue
À l’instant, frêle et infini secret.

Cheng l’a compris, et nous l’offre en prière —
Cette parole faite d’air et de pierre,
De pluie sur les feuilles et de feu couvant.

Je referme son livre comme une main nue
Se referme sur l’eau — rien ne reste, tout fut.
Mais le cœur est plus calme en le tenant.

#Oraison #Poème

Stephen Sevenairfreremaheu@tsuvadra.blog
2025-05-01

Pape François et 1er Mai

Le pape François ? Une ombre blanche sur les ruines encore fumantes d’une Église souvent cruelle, parfois complice, trop longtemps muette. Un homme, non pas un trône. Un souffle, pas un dogme. Je ne l’idéalise pas — j’ai trop vu les mitres se couvrir de sang et les soutanes refuser la main tendue. Mais lui, il avance pieds nus sur les cendres.

Ma bonne nouvelle tient dans un crachat sur les bottes du pouvoir et une caresse à la joue d’un·e condamné·e. Et si je parle du pape François, ce n’est pas pour l’encenser comme une vieille dame piétinant son missel. Je parle de lui parce qu’il osait — il osait dire pardon, il osait regarder les damnés, les travailleurs courbés, les femmes épuisées, les immigrés harassés, les chômeurs qu’on traite comme des déchets, et leur dire : « Vous êtes le cœur. Pas les marges. »

Ce pape n’était pas un révolutionnaire au sens où certains marxistes le fantasment. Il était pire : il était tendre. Et dans ce monde carnassier, cette tendresse-là était une bombe. Il parlait d’unité non comme d’une fusion forcée, mais comme d’une danse où chacun garde son pas, son rythme, sa couleur. Il ne demandait pas qu’on devienne semblables ; il suppliait qu’on s’aime sans se dissoudre.

Il n’était pas un pape de marbre, mais de chair et de larmes. Un homme qui, depuis les faubourgs de Buenos Aires, portait l’odeur des brebis, la poussière des chemins, et la colère des oubliés. François, le pape des marges, a quitté ce monde sans faste, fidèle à sa simplicité évangélique.

Il a tendu la main aux Waldésiens, demandé pardon pour les persécutions passées, et offert des reliques de saint Pierre à l’Église orthodoxe, gestes forts en faveur de l’unité des chrétiens. Il a marché avec les peuples en souffrance, du Soudan du Sud aux périphéries de nos villes, incarnant une Église en sortie, proche des pauvres et des exclus.

Et en ce Premier mai, fête des travailleurs, il regarde Saint Joseph — charpentier silencieux, époux fidèle, père modeste — et dit : voilà le modèle. Pas l’entrepreneur. Pas le chef de projet. Pas le startupper cocaïné. Mais cellui qui travaille avec ses mains et se tait, cellui qui aime et se lève tôt, cellui que personne n’applaudit, mais sans qui rien ne tient debout. Et il dit aussi et surtout : tu n’as pas besoin d’avoir un emploi pour avoir une dignité. Il parle aux mères sans papiers, aux vieuxes sans retraite, aux jeunes en colère, aux marginaux qu’on voudrait invisibles. Il leur dit : vous êtes béni·e·s. Et l’Église ne sera vraie que si elle vous ressemble.

Et Jeanne ? Elle n’est pas à Le Pen, cette pucelle incendiée. Elle est à la colère, au doute, au mystère. Elle n’a jamais été soumise : ni à Rome, ni aux prêtres, ni aux rois. Jeanne n’est pas un drapeau, c’est une blessure lumineuse. Elle entendait les voix de l’éternité. Elle parlait au feu. Elle brûlait de l’intérieur avant qu’on la brûle de l’extérieur au bûcher. Et si elle revient, ce n’est pas pour porter les pancartes brunes des haineu·se·x. C’est pour dire : « Nul·le n’a le droit de parler en mon nom sauf cellui qui pleure. »

François, tu ne seras pas oublié. Tu as compris que l’unité des chrétien·ne·s et non chrétien·ne·s ou encore autre chose, ne doit pas être un slogan creux, mais un véritable engagement, une lutte pour la dignité humaine. Dans ce monde devenu fou, ta voix continue de résonner, un appel à l’amour, à la compréhension, à la solidarité.

2 Haïku

Des mains sans repos,
Saint Joseph veille en silence.
La scie fait prière.

Le Pape s’incline —
sous la mitre, une prière
murmurée pour tous.

2 Tanka

Il tend sa paume,
pas pour bénir mais pour dire
« je vous ai blessés. »
Et dans le silence, l’eau monte —
larmes ou baptême nouveau.

Le pape penche
son front sur les mots d’excuse —
et dans le bois brut
des charpentes effondrées
il voit l’Église à venir.

Sonnet bancale mais non bankable

Il n’est pas roi. Il ne trône que sur l’ombre
Des fautes empilées comme autant de couronnes.
Il marche — blanc — là où le sang bouillonne
Et dit : je ne suis rien, que ce que le vent nomme.

Il parle aux exclus, aux bannis, aux brûlés,
Aux fils séparés par des siècles de haine,
Il parle aux murs, aux pierres, aux chaînes —
Et soudain, le silence semble respirer.

Ce pape est une blessure qui prie,
Une main nue qui ne tremble pas d’aimer,
Un aveu public au milieu de la nuit.

Et moi, pôvr’gars, bâtard à genoux dans l’éclair,
Je le regarde. Je crache, je pleure, je ris.
Et peut-être, je crois. Juste encore. Pour hier.

#Agape #Danse #Oraison #Spiritualité

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