Jean Renoir, Richard Avedon
Dans le numĂ©ro 9 dâEgoĂŻste, paru en 1985, Richard Avedon a racontĂ© Ă Nicole Wisniak sa rencontre avec Jean Renoir, alors installĂ© Ă Beverly Hills, pour faire ce portrait. Voici son rĂ©cit.
Renoir vivait Ă Beverly Hills, et jâai Ă©tĂ© le voir. (âŠ) Il Ă©tait trĂšs malade Ă ce moment-lĂ et il marchait avec difficultĂ©, Ă lâaide dâun dĂ©ambulateur. Il y avait quelque chose de trĂšs Ă©mouvant dans son visage, comme dans sa vie, son Ćuvre et ses convictions. Il Ă©tait une des derniĂšres personnes qui mâimpressionnaient vraiment.
Quand la sĂ©ance de travail fut terminĂ©e (âŠ), Renoir me dit : « Voulez-vous vous joindre Ă nous ? » Je mâassis donc devant la table et quelques amis arrivĂšrent avec de la vodka et un gĂąteau du dimanche, et Renoir sâassit. (âŠ) Il mâarriva alors ce qui mâarrive trĂšs souvent : je fus soudain pĂ©trifiĂ©, je ne pouvais plus penser ni parler. Je ne me sentais pas Ă ma place. Je pensais : que pourrai-je dire qui enrichisse en quoi que ce soit ce qui se passe autour de cette table ? Dâailleurs, rien de particulier ne se passait ! Je trouvais que je rĂ©ussissais assez bien Ă camoufler ce que je ressentais, et je savais que je nâĂ©tais nullement obligĂ© de parler. Je pouvais, en toute tranquillitĂ©, rester silencieux. Mais, intĂ©rieurement, jâĂ©tais paralysĂ©. Je souriais, essayant de faire croire que jâĂ©tais parfaitement Ă mon aise, tout en pensant : quel droit ai-je dâĂȘtre assis Ă cette table ? Je suis venu pour faire une photographie, je devrais mâen aller ; je ne suis pas un ami des Renoir et câest dimanche.
Renoir se leva pour aller aux toilettes et jâen profitais pour prendre congĂ© de tout le monde. Mais, alors que je mâapprochais de la porte, il sortit de sa chambre avec son dĂ©ambulateur, me barrant la route. Je lui tendis la main en disant : « Monsieur Renoir, merci beaucoup de mâavoir permis de vous photographier. » Alors il me regarda droit dans les yeux et je nâoublierai jamais ses paroles : « Ce nâest pas ce quâon dit qui compte ; ce sont les sentiments qui sâĂ©changent au-dessus de la table. » Mon visage se figea.
Je marchai jusquâĂ ma voiture et me mis Ă pleurer.
Note : ce rĂ©cit Ă©tait dispo sur une page de blog, qui nâexiste plus. Je suis aller chercher lâarchive dans les archives du net. Câest pour ça que jâai voulu restituer ce texte. Il existe aussi un article de LibĂ©, mais avec un rĂ©cit incomplet.
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