Appel à contribution : Le Paganisme dans tous ses états
Alfons Mucha, Le Serment dâOndalina, cycle de LâEpopĂ©e slave, 1926
Appel à contribution du numéro 2 de la revue des marges culturelles Terra incognita (université de Mons), consacré à la question du néopaganisme.
Depuis le dĂ©but des annĂ©es 1980, de plus en plus de personnes se rĂ©clament, tant sur le plan religieux que philosophique, du paganisme, donnant naissance Ă un nĂ©opaganisme dynamique. Câest devenu aujourdâhui un phĂ©nomĂšne culturel et sociĂ©tal de grande ampleur. Des Ă©tudes universitaires lui sont consacrĂ©es, ainsi que des revues[1]. Des Ătats lui reconnaissent mĂȘme le statut de religion. Ainsi, lâAsatru, la religion des Vikings, est devenue en 1973 lâune des religions officielles islandaises. Depuis le 6 novembre 2003, ce culte a Ă©tĂ© reconnu officiellement au Danemark. Dans les pays anglo-saxons, la Wicca est devenue un phĂ©nomĂšne de sociĂ©tĂ© depuis les annĂ©es 2000 oĂč ses pratiquants se comptent par centaines de milliers. Il existe mĂȘme en Grande-Bretagne et aux ĂtatsUnis des aumĂŽniers wiccans dans les universitĂ©s. Le prince de Galles est traditionnellement Grand Druide.
Le polythĂ©isme peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme la forme de religion la plus importante numĂ©riquement dans le monde, se manifestant de multiples façons : lâhindouisme, le bouddhisme, le shintoĂŻsme, lâanimisme africain et amĂ©rindien, le taoĂŻsme et le chamanisme sibĂ©rien et nordamĂ©ricain ne sont que quelques exemples de religions paĂŻennes. Le nombre dâadeptes des religions paĂŻennes dĂ©passe actuellement le milliard et demi dâadeptes, sans tenir compte les tentatives occidentales de rĂ©activation.
Le terme paganisme viendrait du latin paganus, paysan, ou plutĂŽt campagnard/rural. En effet, « paganus », chez premiers chrĂ©tiens, signifiait habitant dâun pagus, câest-Ă -dire dâun bourg rural. Il sâemploie surtout en opposition Ă chrĂ©tien. Il fut le nom donnĂ© par les chrĂ©tiens des premiers siĂšcles au polythĂ©isme grĂ©co-romain, auquel les habitants des campagnes restĂšrent longtemps fidĂšles. Par extension, il fut le nom donnĂ© ensuite par ces mĂȘmes chrĂ©tiens aux populations qui nâavaient pas Ă©tĂ© Ă©vangĂ©lisĂ©es. Lâhistorien français Pierre Chuvin enrichit cette dĂ©finition : les paĂŻens, les pagani, Ă©tant les « gens de lâendroit », ayant une religion locale câest-Ă -dire ethnique et enracinĂ©e, et les chrĂ©tiens, les alieni, les « gens dâailleurs » (Les derniers paĂŻens, Paris, Les Belles lettres, 1991), Ă la religion universaliste Ă©trangĂšre, le christianisme. Selon ses adeptes, le paganisme se serait survĂ©cu Ă lui-mĂȘme sous plusieurs formes aprĂšs la christianisation de lâEurope : 1/dans lâinconscient collectif ; 2/au niveau des croyances et des traditions populaires ; 3/ Ă lâintĂ©rieur mĂȘme ou en marge de la religion officielle, dans des certaines hĂ©rĂ©sies.
Sâil sâest dĂ©veloppĂ© Ă compter des annĂ©es 1980, ses racines sont Ă chercher dans diffĂ©rents milieux (artistiques, rĂ©gionalistes et/ou nationalistes et occultistes) des XVIIe et XVIIIe siĂšcles, notamment lors de la constitution des mythes fondateurs des identitĂ©s nationales, puis dans les milieux romantiques du XIXe siĂšcle. Il sâagit dâune reconstruction idĂ©alisant le paganisme antique et qui postule la persistance de cultes paĂŻens en Europe, malgrĂ© la christianisation. Par sa nature, il sâoppose aux religions monothĂ©istes, universalistes et prosĂ©lytes comme le christianisme et lâislam. Ă son origine, il y a une fascination et une idĂ©alisation des paganismes antiques et de celui des sociĂ©tĂ©s traditionnelles.
Sa principale composante cultuelle est une conception panthéiste (la divinité est identifiée au monde) et/ou polythéiste (qui admet une pluralité de dieux) de la religion. Il se manifeste principalement par la réapparition de cultes consacrés aux divinités préchrétiennes : celtes, germaniques, slaves, etc. Cependant, il existe différentes formes de néopaganisme.
La premiĂšre fait rĂ©fĂ©rence Ă des divinitĂ©s ou Ă une tradition cultuelle prĂ©cise, et a gĂ©nĂ©ralement un fondement ethnique : il sâagit la plupart du temps dâune reconstruction dâune religion prĂ©chrĂ©tienne fondĂ©e sur des recherches historiques ou pseudo-historiques.
La deuxiÚme renvoie à un discours écolo-panthéiste de nature universaliste et à un paganisme créé de toutes piÚces, comme le néochamanisme ou la néo-sorcellerie de type Wicca.
La troisiĂšme, enfin, regroupe sous le terme gĂ©nĂ©rique de paganisme un choix philosophique et/ou artistique qui peut ĂȘtre le corollaire dâun « paganisme politique ». Dans ce dernier cas, ce recours au paganisme doit ĂȘtre aussi compris comme une volontĂ© dâĂ©laborer un systĂšme sociĂ©tal original, une philosophie non-chrĂ©tienne, et comme une façon de vivre non matĂ©rialiste et communautaire.
Si la majoritĂ© des nĂ©opaĂŻens ne cherchent pas Ă reconstituer minutieusement des rites disparus, un certain nombre dâentre eux lit avec intĂ©rĂȘt les ouvrages dâhistoriens sur les religions anciennes, pour en tirer, sĂ©lectivement, des Ă©lĂ©ments dans un processus dâinvention dâune « tradition », conjuguant innovations et rĂ©emplois de bribes issues de diffĂ©rentes pĂ©riodes historiques, et parfois de diffĂ©rentes cultures et civilisations. Le nĂ©opaganisme sâalimente donc Ă plusieurs sources : lâanthropologie (telle la fascination occidentale pour les peuples indigĂšnes et les cultures « primitives »), la littĂ©rature, les contre-cultures, les spĂ©culations religieuses, lâintĂ©rĂȘt pour le folklore et les traditions rĂ©gionales, etc. Lâexotisme et le rĂȘve quâil offre peuvent prendre pour objet aussi bien une civilisation Ă©trangĂšre quâun passĂ© lointain : par exemple lâengouement pour des fĂȘtes mĂ©diĂ©vales. En ce sens, le nĂ©opaganisme relĂšve du « bricolage » anthropologique dĂ©fini par Claude LĂ©vi-Strauss.
Les textes publiés porteront sur les différentes formes de néopaganisme :
- 1/Religieux : cultes rĂ©activĂ©s (pensons Ă lâAsatru islandaise ou au druidisme) ; cultes (rĂ©)inventĂ©s, comme la nĂ©osorcellerie, etc.
- 2/Culturel : ils pourront se pencher sur les thĂ©matiques paĂŻennes dans la culture, quâelle soit populaire (Excalibur de Boorman, The Wicker Man de Hardy ou Midsommar dâAster, les bandes dessinĂ©es de ComĂšs, etc.), artistiques (peinture, sculpture, architecture, bijoux), philosophique (Nietzsche, Heidegger, Rosset) ou non-religieux, ouvertement contre-culturelles (pagan metal ou pagan folk, neo folk, etc.). Des Ćuvres littĂ©raires ont exercĂ© aussi une influence, comme lâHeroic fantasy, en particulier Tolkien.
- 3/Logiquement, les aspects sociaux (nouvelles organisations de la société, sexualités non marquées par les religions monothéistes, etc.) ne seront pas oubliés.
- 4/De mĂȘme, les implications idĂ©ologiques/politiques : Ă©cologie paĂŻenne, paganisme dâextrĂȘme gauche/libertaire ou dâextrĂȘme droite.
- 5/Les études pourront enfin porter sur des questions annexes, mais importantes, comme les origines du néopaganisme, les liens entre néopaganisme ésotérisme et/ou occultisme, voire entre le néopaganisme et la franc-maçonnerie.
- 6/Il faut garder Ă lâesprit que les remises Ă lâhonneur de lâhĂ©ritage prĂ©chrĂ©tien se manifestent aussi ailleurs : des paganismes modernes sont apparus au sein de groupes ethniques sous diffĂ©rentes latitudes.
- 7/De Ă©tudes sur les regards, quâils soient hostiles ou non, portĂ©s sur les nĂ©opaganismes par les religions monothĂ©istes seront les bienvenues.
Modalités de contribution
Nous proposons de consacrer le deuxiĂšme numĂ©ro de Terra Incognita (publication des presses universitaires de Mons) Ă cette question, sous ces diffĂ©rents aspects et dans une logique rĂ©solument pluridisciplinaire. Tous les articles respecteront les normes universitaires, que lâauteur le soit ou non. Les textes sĂ©lectionnĂ©s feront au maximum 45 000 signes, notes comprises.
Les propositions seront Ă envoyer avant le 1er avril 2026, Ă lâadresse suivante : Terra_Incognita-revue@protonmail.com.
Les textes acceptés seront à envoyer pour le 20 octobre 2026, pour une publication en février 2027.
Coordination du numéro
Stéphane François, professeur de science politique, Université de Mons/GSRL (EPHE/CNRS/PSL)
Ăvaluation
lecture en double aveugle + prélecture par le comité de rédaction
Note
[1] Par exemple le site Pomegranate, https://journals.equinoxpub.com/index.php/POM
#esoterisme #memoire #religion