Je cherchais un passage de David Graeber (cité par Sara Ahmed) dans son recueil d'essai de 2007, Possibilities: Essays on Hierarchy, Rebellion, and Desire, à la toute fin du dernier essai, intitulé joliment : "On The Phenomenology of Giant Puppets: Broken Windows, Imaginary Jars of Urine, and the Cosmolgical Role of the Police in American Culture" (Sur la phénoménologie des marionnettes géantes : Fenêtres brisées, jarres d'urine imaginaires et rôle cosmologique de la police dans la culture américaine 😂 )
La citation (concernant l'idéologie portée par la figure du flic dans l'imaginaire américain) est celle-ci :
"faced with anything that remotely resembles creative, nonalienated experience, it tends to look as ridiculous as a deodorant commercial during a time of national disaster"
On est bien avant Occupy Wall Street, notez bien !
Sara Ahmed la reprend dans un passage où elle pose la question : "Peut-on encore parler de conscience révolutionnaire aujourd'hui ?"
"Can we even speak of revolutionary consciousness today? Of course, it is a much-repeated assertion that history itself has made the very concept of a political revolution impossible: the failure of communism to deliver its promise of an alternative future has been read as evidence of the impossibility of any other future but global capitalism. But that’s too easy: there is too much evidence of the failure of global capitalism to deliver its own promise of the good life to the populations of the world for it to become evidence of the impossibility of alternatives. We learn much from how the very idea of alternatives to global capitalism comes across as silliness.4 David Graeber argues in his phenomenological anthropology of anarchism that “faced with anything that remotely resembles creative, nonalienated experience, it tends to look as ridiculous as a deodorant commercial during a time of national disaster” (2007: 410). The silly or ridiculous nature of alternatives teaches us not about the nature of those alternatives but about just how threatening it can be to imagine alternatives to a system that survives by grounding itself in inevitability."
"Peut-on même parler de conscience révolutionnaire aujourd'hui ? Bien sûr, on répète souvent que l'histoire elle-même a rendu impossible le concept même de révolution politique : l'échec du communisme à tenir sa promesse d'un avenir alternatif a été lu comme une preuve de l'impossibilité de tout autre avenir que le capitalisme mondial. Mais c'est trop facile : il y a trop de preuves de l'échec du capitalisme mondial à tenir sa propre promesse de bonne vie aux populations du monde pour que cela devienne une preuve de l'impossibilité d'alternatives. David Graeber affirme dans son anthropologie phénoménologique de l'anarchisme que « face à tout ce qui ressemble de près ou de loin à une expérience créative et non aliénée, cela tend à paraître aussi ridicule qu'une publicité pour un déodorant en période de désastre national » (2007 : 410). La nature idiote ou ridicule des alternatives nous enseigne non pas la nature de ces alternatives, mais à quel point il peut être menaçant d'imaginer des alternatives à un système qui survit en se fondant sur l'inévitabilité."
Évidemment, je retiens cette histoire de publicité pour déodorant 😂
En relisant du coup Graeber (le texte date de 2007), je ne peux m'empêcher d'essayer d'imaginer ce qu'il aurait dit de l'élection de Trump version 2024 - et de ce qui se met en place aux États-Unis.
(je relis mes notes du matin sur l'expression "il est trop tard", une manière de reprendre de biais la question de l'espoir et du désespoir que j'avais laissée un peu de côté, quoique...)
#Graeber