Que faire si votre enfant vit « reclus » dans sa chambre ?
» Mon fils se couche quand on se lève […] et se lève pratiquement au moment où on rentre du travail. Il ne sort pas de sa chambre ou juste pour manger, passe son temps sur Internet, que nous coupons maintenant la nuit, et il n’a pas de vie sociale. » Ce témoignage, issu de l’ouvrage* du psychiatre Thierry Vincent, illustre un phénomène encore mal connu sur le sol français : des jeunes déscolarisés ou sans travail, s’enfermant durablement au domicile parental, portes closes et volets fermés. « Il y a différents degrés d’isolement, mais certains n’ouvrent plus du tout la porte de leur chambre, indique le psychiatre. La dépendance vis-à-vis des parents en charge devient alors totale, ceux-ci déposant par exemple un plateau-repas ou des vêtements propres au bas de leur porte… «
Au Japon, où le terme de Hikikomori désigne un individu qui reste cloîtré au moins six mois, 1,5 million de personnes seraient concernées. « On n’a pas atteint ce niveau-là en France, mais au vu des alertes des parents qui augmentent depuis une dizaine d’années, le phénomène prend de l’ampleur », remarque le spécialiste. Selon l’association AFHIKI**, ils seraient en effet des dizaines de milliers (en majorité des garçons) à vivre cet enfermement.
Le désarroi des jeunes face à la pression sociale
Quels sont alors les mécanismes à l’œuvre ? « Le phénomène est multifactoriel, mais dans la grande majorité des cas, son terrain est celui d’une intense phobie sociale, précise Thierry Vincent. D’ailleurs, l’enfermement est souvent (pas toujours) précédé d’épisodes de “refus” scolaire, essentiellement durant le collège. Le refus scolaire concerne des élèves, parfois brillants, mais qui à un moment donné ne peuvent plus retourner au collège, car le vivre ensemble et les difficultés qu’il implique (la rivalité, la jalousie, le regard des autres) sont devenus une épreuve insupportable. »
En France, 5 à 8 % des consultations en pédopsychiatrie ont pour raison une phobie scolaire (un taux en augmentation depuis le confinement). Pour le spécialiste, il existe alors un continuum entre le refus scolaire et le jeune qui se calfeutre chez lui : dans les deux cas, le sujet met en place une « stratégie massive d’évitement ». « En ce qui concerne le Hikikomori, c’est souvent au moment de prendre son envol vers une vie d’adulte que le retrait se fait, précise-t-il. La pression sociale et les contraintes de la vie courante étant trop difficiles à affronter. »
Une fuite dans un monde virtuel
La mise à l’écart est alors une mise à l’abri dans une bulle numérique. « Les métavers sont extraordinairement attractifs et addictifs parce qu’ils donnent l’illusion d’un monde multipolaire où la confrontation à l’altérité, dès qu’elle devient trop forte, peut être facilement écartée », estime Thierry Vincent dans son ouvrage. En effet, sur Internet, les Hikikomori nouent des liens avec des profils qui leur ressemblent, d’autres adolescents ou jeunes adultes réfugiés dans cette bulle, mais dont ils peuvent s’écarter en un clic de souris s’ils deviennent dérangeants… « Ces échanges leur donnent de quoi s’alimenter sur le plan psychique, explique le spécialiste.
Leur chambre devient un lieu sécure qu’ils ne parviennent plus à quitter pour se confronter aux affres de la vie réelle. Ils s’enferment alors dans un cercle vicieux, car tout le problème de la phobie est là : moins on s’expose à l’objet de sa phobie, moins on se sent en capacité de le faire. »
Face à cette situation, les parents – souvent isolés, « il y a beaucoup de mères seules confrontées à cette situation, alors que le père est complètement absent », indique le psychiatre – sont alors désemparés, rongés par la honte et la culpabilité. « Le problème est encore mal connu, mais des équipes de soins psychiatriques commencent néanmoins à y être sensibilisées, note le spécialiste. Émerge notamment la mise en place d’équipes mobiles, composées d’infirmiers ou de psychologues, qui se rendent chez les gens, et sont capables d’entamer une discussion avec l’enfant derrière la porte. »
Dans la plupart des cas, en effet, les parents auront besoin de l’aide d’un tiers pour trouver une issue (car décider de couper Internet, par exemple, peut déclencher chez le jeune une crise violente). « Le plus important est de ne pas laisser la situation s’installer », explique le psychiatre. Dès que des symptômes d’enfermement apparaissent – un jeune qui sort de moins en moins de sa chambre, ne ressent plus le besoin de voir ses amis et dont la cyberdépendance s’aggrave –, un accompagnement semble alors nécessaire.
*Ces enfants qui s’enferment chez leurs parents, l’Harmattan, 2024.
**Association francophone pour l’étude et la recherche sur les Hikikomori (www.afhiki.org), fondée par le docteur Marie-Jeanne Guedj Bourdiau, autrice de Hikikomori. Réparer l’isolement, Doin, 2024.
Source : Par Émilie Gilmer via Le Point
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